Lettre vagabonde – 5 décembre 2007
Cher Urgel,
C’est bien connu que la neige fait le bonheur des uns et le malheur des autres. La première neige laisse monter des souvenirs d’enfance. S’il y a un événement qui ne perd aucunement de son intensité, c’est bien la première neige à travers le regard d’un enfant. Les élèves en oublient les murs de la classe et les mains gelées; l’enchantement persiste. À la retraite, les gens s’exilent vers le sud fuyant neige et froidure. Le mépris de ce que l’on avait jadis aimé quoi.
Les enfants s’émerveillent dès l’apparition des flocons de neige. Je me souviens des dizaines de visages entassés devant les deux fenêtres longues et étroites de la classe. J’arrêtais l’enseignement tandis que les élèves continuaient sur un autre plan leur apprentissage bien malgré moi. Ils retournaient à leur place, les yeux aussi brillants qu’un flocon tout neuf, le rêve en suspens et déjà, une certaine nostalgie d’une neige plus ancienne, et peut-être plus éclatante encore. La première neige fait s’écrouler les murs de classe comme le chantait Prévert. C’était un jour heureux, un jour à classer dans le grand tiroir des souvenirs. Il s’empilait autant d’histoires que de paires d’yeux, elles se confondaient, se tortillaient les unes dans les autres, soulevaient la mienne. Lorsque le calme revenait, une magie planait et nous nous y suspendions tels des parachutistes en plein ciel. La neige : un élément rassembleur chez les jeunes.
Si l’enfance porte ses empreintes enneigées, la vie adulte cherche à renier et à effacer ses moindres traces. Des retraités fuient l’hiver comme la peste. Les anciens enfants de soixante ans et plus migrent par millions dans les pays chauds aux quatre coins de la planète. Ils partent avant les oiseaux migrateurs. La Floride a son Québec, son Nouveau-Brunswick et son Ontario. Le Mexique possède sa Colombie-Britannique et ses provinces de l’Ouest. D’autres se paient la côte d’Azur, les Antilles, les Îles des Caraïbes ou la Thaïlande. La plupart s’installent dans ces pays du monde comme chez eux, avec des accommodements assez raisonnables.
Tu sais Urgel, les populations de nombreux pays doivent céder la place à ces nouveaux arrivants. On interdit à la population de circuler sur leurs propres plages, dans les quartiers fleuris et aseptisés où s’alignent les hôtels chics et les immeubles réservés aux étrangers. Ces lieux de villégiatures sont littéralement envahis et transformés comme s’ils nous appartenaient. Ça me fait tout drôle d’entendre dire autour de moi que chacun devrait rester chez lui tandis que nous faisons tout le contraire.
Sous prétexte que nous pouvons nous payer un pays chaud, nous nous y installons avec nos coutumes sans perturber la qualité de vie à laquelle nous tenons. Ces populations nous accommodent. J’entends répéter que nous faisons comme les Arabes en Tunisie et au Maroc, comme les Cubains à Cuba. « Nous autres, on n’essaie pas de changer leurs lois ni leurs mœurs ni leurs coutumes quand on va chez eux. S’ils s’installent au Canada, qu’ils vivent donc comme nous autres, » entendons-nous souvent. Je crois qu’il y a plus de peur que d’intolérance dans ces propos.
Les immigrants et les voyageurs auraient avantage à se recréer dans leur nouveau pays au lieu de vouloir y recréer le leur. Que l’on soit simple touriste ou un immigrant, l’important, c’est de faire sien ce pays et non d’y refaire le sien. Un touriste qui parcourt des centaines de kilomètres de désert dans un véhicule à l’air conditionné et qui dort dans des chaînes d’hôtel cinq étoiles connaîtra peu les peuples du désert. Marguerite Yourcenar propose peut-être un élément de solution avec ces propos : « Bien voir un pays, c’est essayer de le connaître et jusqu’à un certain point le faire sien dans son présent et dans son passé, tâcher de voir enfin ce qu’il signifie pour ceux qui y vivent. Bien peu de gens s’appliquent à tout cela. »
Dans mon pays aux multiples cultures, aux grands espaces et ses quatre saisons, il faudrait bien qu’un élément nous rallie. Pourquoi pas la liberté? Il paraît que le Canada fait beaucoup parler de lui grâce à sa liberté… et sa neige. Madeleine Gagnon ajouterait : « Aujourd’hui c’est encore l’hiver. C’est tellement souvent l’hiver par ici. » La liberté et la neige, deux éléments qui me font aimer mon pays.
Amitiés,
Alvina