Ouanessa Younsi et l’identité bigarrée

Lettre vagabonde – 19 novembre 2018

Venir d’ailleurs crée parfois des frontières infranchissables, plaque un interdit de séjour sur nos origines. La seule force d’un regard insolent, d’une parole discriminatoire enferme et étouffe. Quand les autres dessinent notre visage, cernent notre identité, le « je » ne nous appartient plus. C’est ce que vit Ouanessa Younsi dans Métissée. Née d’une mère québécoise et d’un père algérien, la poète possède un double bagage mais elle est sommée de n’en porter qu’un. Le père nie sa part transmise à sa fille, refuse de lui léguer son identité. Elle se sent alors démantelée, dépourvue de ses membres et organes, de ce qui la compose. Comme si son corps était tatoué d’interdits.

Dès son plus jeune âge, d’autres détectent sa différence, la déterminent. « À la maternelle on me surnomme chocolat parce que j’étais la plus brune de la classe. » « Au primaire un gamin me dit que j’étais sale. » L’enfant se rinçait au curcuma, se crémait à la pâte à dent. Le père l’enfermait dans la cage du déni, lui dérobant sa propre histoire. « Récit enfoui dans les nerfs du père. » « Mon père posait des pièges d’oubli. » Mensonges et secrets de famille creusent des tombeaux de silence où s’ensevelissent langue, ancêtres et passé. L’auteure exploite le symbole des pieds amputés pour déplorer la perte de ses origines. « L’interdit de mon père : ne pas les chercher. » La dépossession s’étend au corps entier. Une mémoire persiste pourtant au-delà de l’oubli, incrustée dans chacune des cellules. Un mot revient « Souk Ahras. » Une ville ramène un univers. « Une famille inconnue m’interpellait par les flûtes des veines. »

Métissée renforce le sens de l’appartenance, l’héritage généalogique, la langue surtout, telle que développée dans ses œuvres précédentes. Chaque œuvre déploie un chapitre de la vie de l’auteure. Des thèmes récurrents tissent le lien entre ses œuvres : aimer, soigner, écrire. L’écriture sauve, la poésie soigne et guérit parfois. C’est pourquoi dans Soigner aimer Ouanessa Younsi associe poésie et psychiatrie. Personne d’une rare sensibilité et d’une grande capacité d’écoute, Ouanessa aime ses patients, aime soigner et elle ajoute « mais écrire te soigne de toi-même, et tu peux mieux soigner autrui. »

L’écriture de Ouanessa Younsi me rapproche de moi-même autant que des autres autour de moi. Les autres qui nous semblent étrangers mais qui nous ressemblent quand on dépose les armes de la peur, de la discrimination, de l’exclusion et des préjugés. La poète se fait intime, rentre en relation de confidence et de confiance avec son lecteur jusqu’à fusionner soignant et soigné. Elle l’affirme ainsi : « Seul le hasard nous a posés là plutôt qu’en face. Lorsqu’on comprend cela, on peut commencer à soigner. Et à écrire, qui est une façon de soigner encore, en apposant des mots limités sur un amour qui l’est autant. »

Métissée, Soigner aimer, Emprunter aux oiseaux et Prendre langue sont des œuvres constituant un style littéraire qui tend la main, se prête à l’écoute, s’ouvre et se confie. Ouanessa Younsi, une poète à découvrir pour mieux comprendre nos différences et apprécier ce qui nous lie les uns aux autres.

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