Lettre vagabonde – 18 janvier 2006
Cher Urgel,
Tu connais mon vif intérêt pour les récits de voyage. Je t’ai souvent rabattu les oreilles de mes propos exaltés suite à la lecture des récits d’Ella Maillart, Nicolas Bouvier, Isabella Bird ou Jean-Claude Bourlès pour en citer quelques-uns. Serge Patrice Thibodeau vient d’obtenir une place de choix sur les rayons de ma bibliothèque réservés aux écrivains voyageurs.
J’ai eu l’occasion de découvrir les carnets de voyage de Serge Patrice Thibodeau au cours des ans dans la revue Art le Sabord. Il vient de publier ces carnets et des récits inédits dans « Lieux cachés. » Le recueil relate le parcours de l’écrivain à travers plusieurs pays franchissant la paix et la guerre, l’ici et l’ailleurs, relatant leurs différences comme leurs similitudes en leur beauté ou leurs horreurs. Il a beau avoir de grandes jambes Serge Patrice Thibodeau, il n’en reste pas moins qu’il a dû chausser ses bottes de sept lieux pour nous conduire de l’Amérique du Sud à l’Europe de l’Est, de l’Afrique à l’Europe de l’Ouest, entrecoupés d’escales en Amérique du Nord, au Québec comme en Acadie.
Muni de convictions profondes, d’un sens aigu d’observation et d’audacieuse persévérance, Serge Patrice sillonne le monde à la découverte de ces particules et particularités qui font vibrer, saisir et comprendre l’humain qu’il laisse derrière autant que celui qui croise sa route pour la première fois. Tu ne trouveras ni grands documents historiques, ni discours politiques, ni traités de botanique dans « Lieux cachés. » Par contre Serge Patrice offre une vision du monde juste et honnête et le courage de dénoncer les injustices. Un voyage à Beyrouth l’amena à déclarer : « Il ne peut y avoir de paix tant que nous n’aurons pas rendu aux Palestiniens la bande de Gaza et la Cisjordanie, et rendu aux Syriens le plateau du Golan, ni tant qu’on occupera le Sud-Liban. »
Les récits de voyage de l’écrivain décloisonnent les frontières, suppriment les murs d’intolérance et nous invitent à voir plus clair et à penser autrement. Des textes poétiques, une écriture peaufinée, une maîtrise du récit et me voici à me nourrir de rêves, de philosophie, de poésie et de connaissances en y prenant un plaisir fou. Serge Patrice Thibodeau, c’est le voyageur de l’intime, de l’interrogation, du regard prolongé. Son don d’observation n’a d’égal que celui de son écoute. Il a troqué son sac à dos pour ses états d’âme. C’est à travers ses états d’âme justement que l’écrivain nous convie à l’accompagner de découvertes en surprises. Des dégringolades d’émotions dans les rues de Prague ou le long du littéral déchiqueté par l’armée israélienne au Sud-Liban, de l’ascension du mont Sainte-Victoire en Provence jusqu’au lieu d’embarquement des Acadiens déportés, près de la rivière Gaspareau, aucune phrase ne me laisse indifférente. Des mots et des images s’entrecroisent, m’atteignent et font effet.
L’humour ne manque pas à Serge Patrice et j’ai ri autant que lu son séjour au Pays-Bas. Quand on a vu l’auteur en chair et en os, la métaphore suivante a quelque chose de comique : « Et partout le même silence, c’est à dire le chant du vent dans les cheveux. » Autant faire chanter une corde de guitare de trois centimètres. Il fait un pied-de-nez à Proust : « Longtemps je me suis couché de bonne heure comme si ça intéressait quelqu’un. » L’auteure n’impose aucune résistance aux émotions du moment ; moi non plus en le lisant.
Même après avoir lu et rangé « Lieux cachés », il continue de s’en échapper des rêves de voyages et de nouvelles visions du monde, comme si, « Lieux cachés » était un grand oiseau porte-plume sur lequel Serge Patrice Thibodeau écrit l’envol d’une migration sans fin. L’encre ne tentera jamais de nous ancrer sous la plume d’un authentique écrivain voyageur.
J’aime la poésie et les récits de voyage de Serge Patrice. Il a raison d’affirmer : « Le voyage et l’écriture ne seraient plus qu’une seule et même chose dans ma vie, et j’allais consacrer le plus clair de mon temps à l’un et à l’autre jusqu’à aujourd’hui. » À ce moment même, on m’apprend qu’il erre en la Tierra del Fuego, la Terre de feu, à la recherche d’un trésor d’écriture. Je rêve comme ma nièce Carol d’entreprendre un voyage avec Serge Patrice. En attendant, je me consolerai en insérant « Lieux cachés » dans mon sac à dos lors de mon prochain voyage. Attends-toi à une pluie de citations dans mes prochaines lettres. Je veux partager avec toi le goût de le connaître par cœur.
J’ose espérer que tes longs soirs d’hiver dans les villages du Nunavik seront enrichis par ton exemplaire de « Lieux cachés. » Comme ça tu pourras aussi me parler de cet écrivain voyageur dans tes beaux récits épistolaires !
Amitié,
Alvina