Lettre vagabonde – 7 juin 2006
Cher Urgel,
Erik Orsenna est l’écrivain français qui verse régulièrement dans la grande marmite littéraire une bonne part d’humanisme, des particules d’économie, une portion de grammaire et une autre de mondialisation avec humour et désinvolture. Tel un grand chef cuisinier, il cherche à nous présenter une œuvre à saveur unique et facile à digérer.
J’ai fait connaissance avec Erik Orsenna par l’entremise de La grammaire est une chanson douce. L’auteur nous convie au royaume de la magie des mots. Il affirme que « la musique a besoin de solfège comme la parole a besoin de grammaire. » Le dernier Orsenna m’invite à l’accompagner dans sa tournée en l’univers du coton en nous posant sur cinq continents. Voyage aux pays du coton a en sous-titre Petit précis de mondialisation. Une découverte exceptionnelle pour des personnes comme moi, qui cherchent à comprendre la mondialisation sans plonger dans de longs traités arides sur l’économie et ses dérivés.
Voyage aux pays du coton est à lire par les curieux de connaissances, les avides d’humour et ceux qui ont de la considération pour l’être humain. Même les assis sur leur fortune et les endormis sur leurs idées profiteront de la lecture de Voyage aux pays du coton pour s’investir d’un nouveau regard sur le monde. C’est un livre qui conduit à des placements de rêves et d’autrement dans les idées. Parcourir sept pays cotonniers ouvre les yeux sur l’industrie du coton et le processus de mondialisation. La lecture dégage l’agréable sensation d’une douceur cotonneuse.
Orsenna part de la prémisse que « chaque matière première, en se racontant, raconte à sa manière la planète. » Trente millions d’hectares de coton recouvrent la terre et habillent sa population. Chaque pays producteur tente d’assurer sa survie sur le marché. L’industrie du coton joue le jeu de la concurrence. Les pays riches, les plus puissants trichent au jeu, donc les pays pauvrement équipés en machines, en recherches et en pouvoir n’ont aucune chance de gagner. Les plus forts ne lésinent pas sur les moyens. Puisque les insectes raffolent autant du coton que les humains, les humains ont déclaré la guerre aux insectes. Nous voici plongés dans la modification génétique du coton. C’est à se demander si le coton est encore du coton.
Une autre découverte sur le plan génétique m’a fort étonnée. On a choisi parmi les araignées brésiliennes, les meilleures ouvrières. Leur gène a été introduit dans le cotonnier. On y a introduit également des gènes qui permettent au coton de résister aux insectes et de demeurer insensibles aux herbicides. Ces savants brésiliens ont même introduit le gène de l’araignée dans le lait… et vive la science! Le coton est de moins en moins coton et le lait nous réserve des surprises. La pauvre araignée doit être au coton. La forêt amazonienne se fait gruger des milliers d’hectares par année au profit de la plantation du coton. Les écologistes proclament haut et fort que la forêt amazonienne et l’Antarctique sont les deux espaces essentiels à la survie de la planète. Le progrès a un appétit féroce.
S’il y a de quoi s’alarmer, il y a aussi de quoi rire dans ce voyage aux pays du coton. Orsenna nous conduit vers les gens qui vivent uniquement pour le coton. Il n’y a pas qu’en religion qu’on retrouve des illuminés. En Chine, l’auteur curieux a bifurqué de l’usine de la chaussette à celle d’à côté. Il fut surpris de voir surgir un Bouddha, Jésus, Confucius et Jean-Paul II d’une même matière plastique. La fusion et la confusion des religions, rien d’impossible à l’industrie chinoise. L’écrivain nous réserve des surprises. Voilà un sujet d’actualité traité sans ostentation. La bibliographie confirme le sérieux de la documentation. Le style ajoute au plaisir de la découverte.
De retour chez lui, Orsenna fait le tri dans ses glanures de voyage. Il nous raconte leur histoire. L’auteur arrive à la conclusion que : « Le vrai tissage est celui qui se développe entre les humains. » Comme il a raison ! Bonne lecture.
En toute amitié,
Alvina