Quand les mots s’éteignent

Lettre vagabonde – le 11 janvier 2010

Il est des mots révélés de vive voix sur air de libération, d’équité et de compassion. D’autres mots s’inscrivent au parchemin de poète ou prosateur. Les mots de Bruno Roy ont tant emprunté ces chemins. Bruno Roy m’est apparu comme homme du mot dit en même temps qu’homme de l’écrit. Ma première rencontre avec l’auteur remonte à 1998. Son chant doux et profond berçait les mots d’une grande intelligence entonnant l’hymne à la créativité. C’était à l’occasion du Salon du livre de la Gaspésie. Il animait un atelier d’écriture. J’y participais avec mes amis du Cercle littéraire La Tourelle.

Bruno Roy est le défricheur de multiples chemins. Toutes les voies empruntées menaient vers une seule direction : au cœur des autres. Sa parole a véhiculé sans cesse l’ultime message. « Je ne connais pas de plus merveilleux support que la complicité des êtres. » claironne Bruno. On ne peut être ni sauvé ni perdu par les institutions sociales. « Je pense toujours que ce sont les individus qui sauvent ou perdent les individus, pas les institutions. » L’homme insiste : « Ce qui sauve l’humanité, ce n’est jamais la société, se sont les individus, ce sont tels individus. L’espoir réside dans la contagion de leur intégrité. » Nous ne sommes jamais heureux seuls insiste l’auteur. La force de Bruno Roy réside dans son refus d’être victime malgré les sévices subis par le gouvernement, des individus en poste d’autorité. Il a peut-être baissé les yeux mais non la tête ni les bras. Il les a plutôt tendus les bras. Surtout, il n’a jamais baissé le ton quand il s’agissait de défendre une cause juste.

Bruno Roy a défendu deux grandes causes corps et âme. La défense des orphelins de Duplessis l’a amené à réclamer et obtenir justice pour des centaines d’orphelins québécois incarcérés dans des asiles psychiatriques, sans instruction ni soins adéquats. L’autre cause chère à Bruno : la langue française. Il fut l’un des instigateurs de la création de l’Union des écrivains québécois. Il a fondé la Maison des écrivains de Montréal.

En août 2009, il s’est arrêté au Camp littéraire Félix dont il était le président. Il prenait des nouvelles de chacune. Il connaissait la plupart d’entre nous. Il donnait des nouvelles de sa fille, de son petit-fils. Il nous a parlé de ses projets littéraires. Il nous encouragea dans notre démarche d’écriture. Son enthousiasme était contagieux. J’ai revu Bruno Roy une dernière fois au Salon du livre de Montréal en novembre en séance de signature pour le magnifique ouvrage Les cents plus belles chansons du Québec. C’est dire que les mots sous toutes leurs formes le passionnaient.

Le dernier livre que j’ai lu de l’écrivain c’est le tome quatre de Journal dérivé intitulé L’espace privé 1967-2000. Les textes sont pour la plupart extraits de lettres. On y rejoint Bruno en son intimité. J’ai l’impression de retrouver le Julien de Les calepins de Julien. Un Julien devenu grand. Son aptitude à la résilience l’a sauvé. À onze ans, on l’avait déclaré arriéré mental. À quinze ans, il n’avait pas l’équivalent d’une troisième année. Il est devenu écrivain. Dans L’espace privé, je rencontre un Bruno Roy vulnérable et solitaire. C’est un être profondément humain, proche de nous, près de ses propres émotions. L’auteur écrit : « Ce ne sont pas seulement les yeux qui nous font reconnaître des personnes, ce sont aussi leur cœur, leurs chansons et leurs poèmes. » Je m’accorde avec Bruno mais de ses yeux, j’ai souvent remarqué une certaine mélancolie qui brillait comme la beauté d’un poème. C’est une des rares personnes qui se laissait regarder droit dans les yeux comme s’il était convaincu n’ayant rien à cacher, il révélerait au regard de l’autre par un mystérieux jeu de miroir, une part secrète de leur être. Son regard tout comme son œuvre contenait un authentique témoignage.

« Apprendre à lire a été l’acte le plus important de ma vie » confie Bruno Roy. Et quel lecteur il a été! Les quatre tomes de son Journal tout comme Les calepins de Julien dévoilent un homme qui peut lire autant dans les maux que les mots. Il a appris jeune à lire la souffrance et, l’autre lecture, sur le tard.

Grâce au langage, l’auteur de Les calepins de Julien a survécu. Je partage sa passion des mots pour tout ce qu’elle contient de libération. « La maîtrise du langage est ce qui m’a sauvé. Avec le langage, je me sentais d’égal à égal avec tous ceux et celles qui l’utilisaient. Je pouvais rêver, me rêver. Je me suis construit avec les mots. Je me les appropriais. Je m’accomplissais. » J’aurais pu partager avec Bruno Roy quelques souvenirs d’orphelinat. Mais je préfère converser avec la mémoire de l’écrivain humain si humain dont l’enfance n’est disparue qu’au moment où est décédé l’homme de soixante-six ans. Dans sa dédicace dans ma copie de Les calepins de Julien, Bruno m’écrivit : « Les calepins de Julien qui, par les mots, m’ont enseigné la lumière de toute vie qui cherchent son sens. » Cet homme avait du cœur dans la voix. Un phare, comme un œil allumé n’est plus. Les mots s’éteignent.

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