Nancy Huston et l’amitié ou Passions d’Annie Leclerc

Lettre vagabonde – 12 mars 2008

 

Cher Urgel,

Il y a des ouvrages en abondance sur l’amitié, des essais, des récits et des études spécialisées. On croit que tout a été dit et puis Nancy Huston surgit avec Passions d’Annie Leclerc. Je réalise que si tout avait été dit déjà, tout n’avait pas été vécu et ressenti. Une histoire à deux voix, où l’amitié se sent, se vit et se partage.

Nancy Huston a rencontré Annie Leclerc, l’a connue, l’a aimée. Elle a décidé de raconter l’histoire de leur amitié. Comme chacune d’entre nous, Annie Leclerc est plusieurs. Nancy Huston aime la philosophe des petites choses, l’écrivaine et la complice de ses joies et ses peines. Nancy Huston affirme qu’Annie Leclerc n’a pas seulement transformé sa façon de voir le monde mais sa façon d’être dans le monde « … nous sommes notre façon de voir le monde. Annie ne m’a pas seulement marquée ou influencée, elle m’a faite ce que je suis » nous confie Nancy Huston.

Nancy Huston raconte certes l’histoire de son amie, mais le récit déborde des cadres de la narration. Les deux amies prennent tour à tour la parole. On parcourt le chemin de l’écriture de l’une et de l’autre. Des extraits d’échanges épistolaires côtoient des textes philosophiques. J’ai suivi leurs relations comme si ce livre qui me les révèle toutes les deux avait été écrit à quatre mains. Pourtant l’une n’est plus. Annie Leclerc est décédée en 2006.

La force de Passions d’Annie Leclerc réside justement dans le fait que la mort n’a rien enlevé à ce que fut la vie d’Annie Leclerc. Elle continue de vivre en Nancy Huston. « Quand notre corps devient objet inanimé, ce qui reste de nous n’est ni rien ni un tas de cendres. C’est tout ce que nous avons communiqué lors de notre existence, les images, la musique inimitable de notre voix, le souvenir de nos paroles, nos façons de faire, nos goûts et dégoûts. »

En lisant le récit de Nancy Huston, on sent la présence d’Annie Leclerc, son influence, son bagage littéraire et philosophique. J’ai connu Annie Leclerc par son célèbre Parole de femme publié pour la première fois en 1974. Elle, la philosophe des petites choses, j’ai continué de la fréquenter à travers ses œuvres. Maintenant, je la retrouve pour ainsi dire plus vivante que jamais grâce à Nancy Huston. Elle a donc raison de dire « qu’il n’y a pas de rupture radicale entre les morts et les vivants, qu’être vivant c’est justement être tissé de ceux qui nous ont précédés. »

La force de Nancy Huston c’est de ramener à la vie les personnes que nous avons aimées. À travers Annie Leclerc, des êtres disparus ressurgissent. L’amour persiste et la mort ne supprime pas les signes de vie qui ne cessent de nous habiter et de poursuivre leur influence grâce à la place qu’on leur accorde. Combien de fois dans une seule journée me reviennent le geste d’une amie, les paroles d’un autre. Au fond, je suis rarement seule. Les soi-disant disparus sont là, présents. Des objets me les rappellent, des situations aussi. Je me surprends souvent à imiter, en préparant les repas, les gestes d’une grande amie décédée. La voix d’une autre me revient souvent lors des rencontres entre amis.  Et puis un vieil ami proche de la nature m’aide encore à sa façon à fendre le bois sec et à distinguer les traces d’animaux sauvages en forêt. Il y a tant d’êtres en moi, ceux que j’ai connus et aimés et ceux que d’autres ont aimés également. Chaque être aimé vit par « les signes qu’il a semés en nous. »

En fin de semaine, j’accueillais chez moi mon amie Héleyne. Nos rencontres sont rares mais intenses. Nous avons changé depuis que nous sommes amies. Les contacts avec d’autres personnes, nos lectures et nos expériences ont su nous transformer. Nos échanges s’enrichissent de tous ces changements. Pas étonnant que nous avons entre amies « mille soi différents à partager. »

Si j’avais à retracer tous les signes de la présence des êtres aimés, en moi, la tâche serait interminable. La vie m’est donnée à travers les autres. Nancy Huston déclare que « connaître quelqu’un […] c’est le laisser pénétrer en vous, lui permettre de faire partie de vous, Annie Leclerc est entrée en moi bien avant notre première rencontre, et tant que je serai moi, elle fera partie de moi. La vie n’est rien d’autre que cela. »

Tu sais Urgel, je crois que Nancy Huston est devenue grâce à Annie Leclerc une philosophe des petites choses, elle aussi. Et elle en révèle toute la grandeur dans Passions d’Annie Leclerc. Devine quoi Urgel, Nancy Huston sera au Festival littéraire Frye à Moncton à la fin avril 2008. J’en rêve, car je connais bien sûr Nancy Huston. J’ai lu et aimé ses livres.

Amitiés,

Alvina

                                               

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