La géopoétique, pour habiter poétiquement la terre

Lettre vagabonde – 12 novembre 2008

 

Chère Aline,

Presque tous les genres littéraires m’intéressent. Je m’accommode d’une grande variété de sujets, de styles et de points de vue. La poésie et les récits de voyage trouvent particulièrement grâce à mes yeux. Mais j’apprécie le roman, l’autobiographie, la correspondance et le journal intime tout autant. La découverte du concept de géopoétique, tout nouveau pour moi, m’amène à m’interroger sur ma passion pour la lecture. J’ai découvert la géopoétique en prenant connaissance de l’œuvre de son fondateur, Kenneth White. Un regard sur mes lectures s’imposait.

Je cherche le fil conducteur de mes lectures. Je cherche dans les livres une vision du monde élargie. Je lis pour m’approcher de la beauté, de la connaissance aussi. Les textes marqués par la sensibilité, la créativité, la beauté et le respect des êtres et des choses me rejoignent. La philosophie, l’astronomie, la géologie et l’histoire sont des sujets captivants. Des auteurs m’attirent plus que d’autres grâce à leur manière d’aborder ces sujets. Je viens de réaliser que la majorité des écrivains que j’aime créent des œuvres portant un regard sensible, réceptif et respectueux sur « la Terre et les êtres-de-la-Terre ». En d’autres mots, des adeptes de la géopoétique.

Loin de moi l’intention de donner une explication exhaustive du mouvement géopoétique, mais je tenterai d’aborder quelques-unes de ses caractéristiques à travers son fondateur : Kenneth White. Kenneth White est un écrivain voyageur, un poète et un essayiste. En 1979, ce voyageur explorait la côte nord du fleuve Saint-Laurent jusqu’au Labrador. Le terme géopoétique lui revint alors à l’esprit pour définir l’ouverture d’un nouvel espace culturel où l’homme se rapprocherait de la terre pour en découvrir son sens en même temps que notre lien avec elle. La géopoétique se veut une rencontre de l’être avec le vaste monde dans le mouvement du corps autant que de la pensée. La géopoétique, c’est la relation au monde à travers une variété de disciplines et pas uniquement la littérature. Kenneth White affirme : « Toute création de l’esprit est, fondamentalement, poétique. Si j’ai commencé à parler de géopoétique, c’est d’une part parce que la terre (biosphère) est de plus en plus menacée et qu’il fallait s’en préoccuper d’une manière profonde et efficace, d’autre part, parce qu’il m’était toujours apparu que la poétique la plus riche venait d’un contact avec la terre, […] d’une tentative pour lire les lignes du monde. « Kenneth White reprend la phrase de Hölderlin : »habiter poétiquement la Terre. »

Le philosophe Georges Amar, un adepte de géopoétique explique : « La nouvelle approche des choses-de-la-Terre dont nous avons besoin doit associer connaissance et sensibilité, beauté et vérité, exactitude et amour, créativité et réceptivité, énergie et respect ».

La géopoétique cherche une méthode de travail, une manière de faire, de sentir, de penser, de produire. « Un être ne devient véritablement créatif, véritablement actif, que lorsqu’il a trouvé sa poétique : une modalité d’accord heureux, c’est à dire à la fois exact et amoureux, avec son milieu. La poétique d’un être est sa méthode de travail et de vie, sa voie… »  explique Georges Amar. Je connais de ces écrivains qui transmettent leurs connaissances et leur amour de la Terre dans leur façon de voir et de sentir. Bon nombre d’entre eux sont des personnes qui voyagent. Ma dernière découverte, Kenneth White, m’a initiée à l’univers géopoétique avec son recueil de poésie, Un monde ouvert. Il écrit que « Toute poésie vient/ de la rencontre avec la beauté ». Ses poèmes parlent de territoires, de la vie animale, des êtres qui l’ont marqué. L’écrivain parcourt le monde en poète éclaireur ou philosophe de la culture humaine, à tâtons dans la traversée de ses mystères. Son recueil, Un monde ouvert, porte bien son nom. Son regard porte loin et en profondeur dans la mouvance de son auteur. Ses mots éveillent la conscience, embellissent le territoire et rejoignent ceux de quelques écrivains d’ici. Je pense à Marcel-Marie Leblanc qui a écrit en poésie l’histoire des villages de la Gaspésie. Son recueil, intitulé Tour de la Gaspoésie témoigne de cette reconnaissance et amour des lieux. France Cayouette nous livre des haïkus dignes de la foulée géopoétique. La poète nous confie dans La lenteur au bout de l’aile qu’elle aime être au service de la nature, de la langue, du familier. Elle ajoute « Par le haïku, je rends grâce pour cette grandeur contenue dans le petit. » Son écriture reflète bien l’esprit de la géopoétique selon Kenneth White.

Un autre poète de la géopoétique m’est très cher. Son œuvre demeure toujours à la portée de la main et du cœur. Serge Patrice Thibodeau possède l’esprit nomade dont parle Kenneth White dans un essai éponyme. Écrivain voyageur, poète de l’errance, la rigueur de son regard, le tâtonnement de ses pas, déploient pour nous mille horizons. C’est un témoin de la Terre, un chercheur qui a réussi la grande traversée géopoétique de nombreux territoires. Le quatuor de l’errance, Le Cycle de Prague et Dans la cité s’insèrent dans la véritable communication de l’homme avec le cosmos. Ses récits de voyage apparaissent régulièrement dans Art Le Sabord. Tous ces écrivains, chacun à leur manière, construisent des ponts au-dessus de l’indifférence et nous conduisent vers le corps et l’esprit de la terre où nous augmentons notre capacité de ressentir, de voir et d’écouter le monde.

Kenneth White compte à son actif dix recueils de poésie, autant de récits et d’essais. Je projette de lire tout de lui, tout ce qui me tombera sous la main. Nous avons besoin d’écrivains qui nous rapprochent de la Terre pour en découvrir son sens le plus vaste et en même temps notre relation avec elle. La terre est trop souvent considérée comme un stock de matières premières à exploiter au profit de quelques-uns. Les réveilleurs de conscience font de nous de fidèles veilleurs sur la planète. À notre tour d’habiter poétiquement la terre.

Amitiés,

Alvina

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