Pour renaître au bord de l’eau

Lettre vagabonde – 10 janvier 2025

   

La lumière au bout du pays de Joanne Morency, c’est la traversée poétique du paysage gaspésien. Pour l’y accueillir, Françoise Bujold, poète, mer porteuse. C’est sa complice de cordée dans l’exploration de la mer, son rivage, la vastitude de ses horizons, son intense lumière. De découvertes en contemplation l’autrice explore deux paysages : celui qui défile au bout de son regard, l’autre tapi à l’intérieur.

Le carnet sous forme d’haïbun et haïku est un éloge à la Gaspésie, sa terre d’accueil aux milles résonances. On a l’impression de reconnaître une parentèle entre la poète et le paysage. Des gènes communs. Une fusion indéniable. Le recueil est une incursion à travers les fibres sensitives où s’entrelacent territoire et vie personnelle. L’émotion seule peut attribuer un sens au paysage; le laisser nous traverser. « Je ressens une douleur d’objet déplacé. Un dépaysement de feuille tombée. » Il devient abri, son domaine d’inspiration. Son double même. « Je deviens à la fois l’ancêtre et l’enfant, le cap et la vallée, le sel et l’argile. La neige, le roc, la pause et le mouvement, la vaillance, l’amusement, le calme et la fougue, en même temps. »

Le recueil est un parcours entre le palpable et l’impalpable. L’intouchable lumière, « on ne peut la prendre en nos mains. » L’impalpable soleil, « comme un dieu impossible à toucher. » Et le temps, « intouchable et inodore. » Seule la mer se fait abordable, se donne entière. Romain Gary disait : « la mer est la seule métaphysique qu’on peut toucher de la main. » L’autrice s’y baigne corps et âme.

Elle confirme les propos de Françoise Bujold. « la mer est à vivre, à vivre à bras le corps. » L’œuvre, sous le signe des confidences, déploie les multiples personnalités de la Gaspésie, les humeurs de ses saisons où mélancolies, étonnement, joies se diffusent dans les brèches du temps. « J’ouvre les bras dans un élan de toute puissance enfantine. » Ou encore, « Il n’existe d’espace aussi grand que l’espace qui se crée en soi sur une grève déserte. » C’est ce ton de confidence qui me rapproche de la poète, sensible aux jets de lumière que dégage sa poésie. Elle me raconte la mer, je voudrais lui raconter ma forêt, la montagne. Une forêt emmurée au cœur de mon village depuis son achat par un nouveau propriétaire. Pour en assurer la chasse gardée, il a creusé de profondes tranchées à chacun de ses accès. Interdiction de marcher là où s’aventuraient depuis toujours les gens de mon village. Quelle chance elle a la mer d’être affranchie de frontières et de barricades! Chacun libre de « côtoyer les marées de l’aube au crépuscule, en écouter les voix. S’effiler les chevilles à arpenter la grève. Se baigner dans leur propre silence. Nager leur vie parmi les algues. »

Chaque lieu où l’on prend racine prend vie en nous. Comme Joanne Morency, j’emprunte ces vers à Gatien Lapointe, « J’appartiens à la terre. » Celle-là même qu’on s’apprête à nous arracher parcelle par parcelle si on ne fait rien. La poésie possède le pouvoir de sauvegarder la beauté du monde. Avec La lumière au bout du pays, la géopoète l’inscrit parmi les immortels. Les mots de Normand Chaurette expriment ce que m’apporte cette œuvre : « l’aide géographique à survivre. » Un guide pour les yeux du cœur à la démesure du regard d’une talentueuse poète intimiste. À lire en tous lieux habitables.

2 commentaires

  1. Oui, cest si vrai, la chronique nous entourloupe autant que l’auteure et nous donne le goût et l’ennui de la mer veilleuse…Merci!

  2. Quand une chronique est aussi poétique que le recueil qu’elle présente, on se dit que l’autrice / chroniqueuse l’est grandement elle aussi, poète! Merci AlVina! Tu me donnes à la fois le goût de lire ce recueil et celui d’aller me balader en Gaspésie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *