Magda Szabó et la dignité d’Emerence

Lettre vagabonde – 23 juin 2004

 

 

Salut Urgel,

Quand on me conseilla la lecture de « La porte » de Magda  Szabó, je m’empressai de me le procurer. Je ne m’attendais pas à faire une de ces rencontres mémorables. « La porte » de l’écrivaine hongroise  Magda  Szabó ne se lit pas comme un roman. Ça se vit comme une singulière rencontre. J’étais loin de penser que je serais happée par la force et la  grandeur du caractère d’un être exceptionnel : Emerence.

J’ai découvert non pas un personnage de roman mais une femme en chair et en os, une femme de cœur et de tête.

Emerence fabrique du bonheur pour les autres; pour elle, l’honneur et la sauvegarde de sa dignité passe avant tout. Le récit pivote autour de son dévouement, son travail et son passé. Elle est femme de ménage chez une écrivaine, qui en l’occurrence, est l’auteure de « La porte ». La rencontre débute sur une relation plutôt froide et distante pour évoluer jusqu’à se métamorphoser en une amitié indéfectible. Des confidences entre l’écrivaine et la femme de ménage, remontent à petites doses, des bribes du passé. Des secrets révèlent et expliquent la personnalité complexe d’Emerence. Cette femme qui balaie la neige sur le devant des portes, qui porte le repas au malade a aussi caché des prisonniers durant les invasions en Hongrie.

« La porte », c’est l’histoire d’une écrivaine, d’une femme de ménage et du chien Viola qui perçoit et ressent toutes les souffrances d’Emerence. « La porte » c’est aussi une histoire d’amitié entre une femme jeune et cultivée et une personne âgée qui ne lit pas.

Dans ce roman, je fus touchée et bouleversée par la fragilité de la dignité humaine. J’ai revu les photos des prisonniers irakiens nus que les soldats américains humiliaient et torturaient. J’ai pensé aux personnes âgées qu’on parque à deux dans des chambres plus minuscules qu’une cellule de prison. Plus rien ne leur appartient, même pas leur intimité. C’est une dure atteinte à la dignité humaine.

Le roman de Magda Szabó est venu me remuer et le cœur et  l’esprit. J’ai traversé les gammes d’émotions. J’ai adhéré à toutes les causes défendues par Emerence. J’ai réfléchi aussi, beaucoup. J’ai réfléchi à la place qu’on donne ou que l’on refuse à l’être humain sur la planète. Le pouvoir des mots sous la plume de Magda Szabó me propulse vers une réflexion sur les grands débats de société : la religion, la justice, la liberté et le respect jusque dans la mort. C’est un témoignage bouleversant et passionnant de la vie d’une femme dévouée et digne. J’ai préféré ce livre à tous les autres lus en 2004. Tant de destins croisent celui d’Emerence. Le roman contient tous les autres par l’intensité des sentiments et l’ampleur de ses bouleversantes révélations. J’emprunte les mots du poète José Acquelin pour exprimer mon appréciation inconditionnelle pour l’œuvre de Magda Szabó :

« Ce n’est pas ce que renferme un livre qui compte, c’est ce qui s’en échappe, ce qui nous échappe et qui fait qu’on y revient. »

Empresse-toi de faire la connaissance d’Emerence Urgel. Tu ne verras plus les êtres humains de la même manière. Des préjugés tombent, la tolérance s’installe et la considération envers les autres augmente. Magda Szabó doit sa réussite en tant qu’écrivain à Emerence. Elle en témoigne en ces mots lors de la remise d’un prix littéraire :

« Je devais de vivre cette journée notamment à Emerence qui s’était chargé de tout ce qui aurait pu m’empêcher d’écrire tant il est vrai que derrière toute réussite se cache une personne invisible sans qui il n’est pas d’œuvre possible. »

 J’ai connu Emerence et je ne suis pas prête de l’oublier. En attendant la traduction française d’un roman de Magda Szabó, je relis des passages de « La porte », heureuse de me laisser habiter par la plume géniale de l’auteure.

Bonne chance dans tes cours d’anglais à Victoria cet été. Moi, c’est le hongrois que je voudrais apprendre, à cause de Magda Szabó.

Alvina

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