Les départs de ceux qu’on aime

Lettre vagabonde – 27 juin 2007

 

Chère Céline,

Les départs, ça nous connaît. Toi depuis ton Abitibi natal, moi du fond de mon village de Mountain Brook. Difficile de nommer tous nos déménagements. Dans mon voisinage, de nouveaux arrivants ont remplacé les voisins que j’avais connus. Les grandes villes regorgent d’exilés. Les petites, comme Campbellton, voient leur population diminuer d’année en année au profit des grandes agglomérations urbaines. Serions-nous redevenus des nomades ou d’éphémères sédentaires? Cela fait de nous des déracinés et des exilés en quelque sorte.

Chaque année, des millions de Canadiens partent vers la Floride ou le Mexique en caravane tels les nomades du désert. D’autres se sont établis là-bas et reviennent par obligation seulement. Ces voyageurs logent dans leurs rêves et leur confort six mois par année, période maximum recouverte par leurs assurances maladies. Un bon nombre quitte milieu et famille en quête de travail dans l’ouest canadien, le Grand Nord ou dans quelque gigantesque métropole. Des parents partent s’installer auprès des enfants devenus adultes et établis au centre de leur gagne-pain. Peu de gens réussissent à s’enraciner quelque part. Que deviennent les relations humaines dans ces déplacements incessants?

La vie est parsemée de bienvenus, d’au revoir et d’adieux. Nous rencontrons de nouveaux voisins. Nous tentons de créer des liens avec ces gens afin de créer une communauté. Ce rythme de vie s’est subrepticement installé dans l’ordre des choses. Nous sommes devenus en quelque sorte une société à la dérive où la vie s’échelonne d’escale en escale. Rares et brefs sont les ports d’attache. Que deviennent nos amis? J’aurais le goût de citer Rutebeuf : « Que sont mes amis devenus que j’avais de si près connus et tant aimés? »

Je ne peux concevoir de m’installer définitivement dans un lieu sans un ami à côtoyer. On ne peut faire provisions d’amitié, les mettre en conserve pour les utiliser au moment de grande solitude ou d’isolement. Chaque départ d’un ami me dépouille d’un rêve. En avançant en âge ils deviennent plus précieux. Ils me furent toujours indispensables. Gabrielle Roy écrivait à une amie : « … il faut à un certain âge, soigner particulièrement les amitiés qui nous restent, car il nous en viendra peu de neuves désormais. »

Céline, en peu de temps, l’amitié s’est tricotée solide entre nous. Les mots nous ont réunies, la randonnée a scellé en quelque sorte l’entente autour de nos valeurs communes. Une amitié qui donne l’impression que chaque moment est habité et que je n’y circule pas seule. À peine quelques années après ton arrivée dans la région, te voilà rappelée ailleurs. Comme tout le monde, on se dit qu’on se reverra, qu’on gardera contact. Mais se revoir n’implique pas nécessairement se retrouver. Garder contact ne signifie pas entretenir des liens. En amitié, la distance se compte en années-lumière. Le temps s’écoule au rythme de l’absence.

Je n’ai pas trouvé meilleur moyen d’entretenir des liens avec des amis au loin que la correspondance par voie postale. Ni courriel ni appel téléphonique ne me semblent à la hauteur et à la profondeur d’une lettre. Je réalise au cours des ans que c’est par la correspondance que j’ai pu conserver certaines amitiés. C’est le lien le plus proche après les tête-à-tête.

Je viens tout juste de terminer Cartes postales d’Asie de Marie-Julie Gagnon. À travers ses aventures en plusieurs pays d’Asie, Marie-Julie relate ses rencontres avec une foule de gens dont plusieurs deviendront des amis. Ce sont ces amis-là qui lui ont permis de tenir le coup lors de situations difficiles, d’obstacles insurmontables. Ce genre d’amis qui vous tiennent la main, vous prennent dans leurs bras et vous soulagent même de vos maux à venir. Marie-Julie Gagnon vit de départ en départ, de pays en pays. Son seul port d’attache : l’amitié. Il nous reste de ses chroniques des descriptions formidables de lieux. Mais ce sont surtout les rencontres, celles transformées en liens solides et durables qui nous dévoilent la véritable expérience de Marie-Julie. Ces rencontres nous révèlent le visage du monde reflété dans celui de ses amis. Sans eux je ne crois pas qu’elle aurait tenu le coup à Taiwan, ni à Bangkok ni à Montréal. Et Marie-Julie entretient ses relations, par courriels certes mais elle tient le réseau le plus solide au monde : le réseau de l’amitié. Voici qu’elle décrit en une rencontre, l’essence de toutes les autres, peut-être : « Je savais dès la seconde où il est arrivé qu’on s’entendrait comme larron en foire. Quelque chose dans le fond des yeux; un petit bout d’âme qui dépassait j’imagine. »

Eh bien Céline, ton petit bout d’âme qui dépassait, j’y tiens. Tu auras beau  t’installer à l’autre bout du monde, il restera accroché encore longtemps au mien. Comme Marie-Julie Gagnon, j’adhère à la deuxième réalité de cet énoncé : « Le monde est divisé en deux : il y a les gens qui rêvent et se contentent de leur réalité, et ceux qui font de leurs rêves une réalité. »

Au Cercle littéraire la Tourelle, nous continuerons à parler de toi. Je t’écrirai. « Il ne faut pas laisser grandir puis vieillir ceux qu’on aime dans le silence de la mémoire » déclare Jérôme Garcin. Je te souhaite de découvrir de nouveaux amis là-bas.

Ton amie,

Alvina

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