Lettre vagabonde – 7 janvier 2014
Le dernier récit de Robert Lalonde ausculte à fond une relation mère-fils tumultueuse et affectueuse à la fois, une relation dont il ne reste qu’un seul témoin : l’auteur. C’est le cœur qui meurt en dernier soulève à peine des secrets de famille, une source pourtant probable de tant de malentendus et de conflits. L’auteur passe au peigne fin les liens qui ont uni et séparé deux êtres qui s’aimaient, mais pas toujours. Des liens complexes à la fois fragiles et résistants.
Robert Lalonde s’acharne à vouloir rattraper les mailles rompues de son enfance et de son adolescence en les reliant aux mailles brisées de la vie de sa mère. Pour ce faire, il la ramène bel et bien du côté des vivants. Il lui tricote une histoire à coups de souvenirs et réminiscences, de tracés de gestes et d’échappées de paroles. Le récit se démarque par la complexité des émotions et abonde de contradictions autant qu’une vie peut en supporter. On ne ramène pas les morts impunément. Ils reviennent nous contredire et tenter de reprendre dignement la place qui leur convient tout à fait. Le fils se débat au fond du labyrinthe où il a choisi de retourner. Robert Lalonde sait manier la langue pour entretenir un dialogue animé avec la revenue. Il tente de renouer contact à force d’éplucher les souvenirs, de réconcilier les vérités et les mensonges, les non-dits surtout.
L’histoire se déroule en premier lieu dans la maison familiale où le ton de l’adolescent monte. La voix de l’adulte s’adoucit quand la situation se transpose dans la villa pour personnes âgées devant une vieille maman dépourvue de force et parfois de raison. Le nœud du récit : chercher à saisir cette vie dont est issue la sienne. Tout n’est pas clair. Les pistes s’embrouillent. On tangue entre compréhension et mésententes, entre réconciliation et dispute. « Comment démêler le vrai de l’inventé? » s’interroge l’auteur. « Faut pas sonder le fond. On avance comme on peut, on continue, y a rien d’autre à faire » riposte la voix de sa mère. A-t-il hérité d’elle « cette maladie des nerfs », celle qui provoque les explosions? Lui aurait-elle transmis « l’exagération qui fait voir? » Le pouls du récit porte à le croire. Parmi les non-dits, il se manifeste quelque tendresse vague que l’on devine plus qu’on ne la perçoit. Elle se révèle lors des rendez-vous sur la galerie. « Sur la photographie que j’ai de toi, tu as ces yeux-là, ceux de huit heures du soir sur la galerie, l’album sur tes genoux, et qui me dévisagent avec cette intelligence précise, sûre, de notre position à la fois hors d’atteinte et menacée. »
Robert Lalonde a beau décortiquer la vie dans tous les sens, faire le tour des lieux, des années, des paroles et des traits de caractère, il ne réussit ni à comprendre ni à reconquérir sa maman tout à fait. Le rendez-vous crucial n’aura pas lieu. « Je te demande pardon maman. » C’est l’échec de l’entreprise qui rend l’histoire si bouleversante. Il « a fait son gros possible » pour remettre un peu de dignité dans la vie de sa mère. Peut-être se sont-ils enfin reconnus et pardonnés à l’insu du lecteur.
C’est le cœur qui meurt en dernier est une histoire familiale où, à l’instar d’Annie Ernaux dans Une femme, Robert Lalonde a voulu mettre sa mère au monde. J’ai apprécié la sincérité et l’acharnement du fils dans sa démarche hasardeuse. J’ai reconnu le style d’un écrivain talentueux et accompli.