L’origine de nos empreintes

Lettre vagabonde – 24 novembre 2021

 

La chambre des saisons est une traversée effectuée entre ombres et lumière, exil et retour, abandon et retrouvailles. Rachel Leclerc ausculte un territoire, sillonne sa cartographie en parcourant les époques. Existerait-il une affinité entre la grande noirceur provoquée par l’éruption du volcan Tambora et la grande noirceur à l’intérieur du milieu familial? L’expropriation des habitants de Forillon et l’exil forcé des enfants semblent être infligés d’une semblable blessure. La poète donne la parole aux saisons muettes sous le poids des secrets, des rêves brisés et de frêles espoirs.

La poète ratisse grand et fore profond afin d’extraire pépites de mémoire collective et cristaux de souvenirs sans jamais assujettir quiconque à leur emprise. Aucun jugement ne vient corroborer les aveux. « je n’ai pas la constance / ni la précision des juges / je ne sais pas injurier les morts /
ni leur pardonner davantage. »

La chambre des saisons reconquiert les lieux d’origine, scrute l’univers intérieur des vivants et des morts. Rachel Leclerc accorde une place prépondérante à la mère, cette femme qu’on a figée dans son rôle, la privant de devenir la femme qu’elle rêvait d’être. Elle brosse un portrait du père. Elle se porte garante de l’histoire des siens dans les poèmes en italique comme celui-ci.

« Cueille le jour et donne la fleur, regarde monter
puis s’enflammer la mer sous un ciel délabré
le temps est venu de briser la coque de la réalité
réchauffe tes mains et ton cœur, pose ta voix
tu diras les vérités que nul n’a réclamées
debout sur les quais déserts
tu livreras ton chant à l’horizon
puis tu reviendras par le sentier
bordé de foin d’odeur
et du sang des tribus déculturées

Étanche ta soif, veille le feu de braise
Toi seule en équilibre sur le fil des jours »

Et que dire de l’écriture, ce don incontestable du talent créateur accordé à Rachel Leclerc. L’écrivaine, Clarissa Pinkola Estés exprime en ces termes la faculté de transmission et de partage, « elle communique à ceux qui savent le déchiffrer un enregistrement de la vie donnée, de la vie ôtée, de la vie espérée, de la vie guérie. »

Il se glisse dans La chambre des saisons des paysages qui me sont familiers. Nous n’avons jamais terminé de croiser l’enfance en chemin. Quelques fragments du parcours de Rachel Leclerc me ramènent à ces « dortoirs ouverts sur l’absence de mère / ces fenêtres d’une définitive solitude. » Ou encore, « combien d’années encore à préserver / ces tranches de vie rangées sous les combles / dans les secrets d’une malle de collégienne. »

Lire est un voyage où il arrive de retrouver des traces de nos pas dans ceux de l’écrivain. La voix porteuse de Rachel Leclerc nous renvoie l’écho de notre propre existence. À  nous d’extirper de l’oubli nos racines tenaces.

2 commentaires

  1. Chère Alvina, quelle généreux commentaire ! Et brillant dans sa recherche de tout ce qui nous rapproche. Un jour, nous parlerons de nos mères comme nous ne l’avons jamais fait.

  2. Ces mots tels ausculte, sillonne, ratisse, fore, scrute sont des plus judicieux pour m’inciter à poursuivre la lecture. Ils viennent titiller ma fibre intérieure en rapport à un paysage unique. Pour qui connaît Forillon et son histoire, les extraits en ta chronique, Alvina, m’incitent à me procurer l’écrit de Rachel Leclerc pour en apprendre davantage sur l’autrice et vibrer à son diapason.

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