Tout ce qu’on peut transporter avec soi de sa vie de Joanne Morency

Lettre vagabonde – 1er novembre 2011

Parmi mes provisions littéraires d’octobre, Joanne Morency me réserve une récolte à même le terreau fertile et généreux de son univers poétique. L’auteure qui nous a présenté poèmes, poésie en prose et haïkus, nous offre au menu une denrée rare chez les écrivains canadiens français : le haïbun.

Le haïbun se définit comme une prose-haïku où alternent textes en prose et poèmes japonais de trois vers. Joanne Morency se distingue en ce genre avec Mon visage dans la mer. Nous sommes conviés à un festin d’images en délicates subtilités et en riches évocations. De brefs tableaux se succèdent et ne se ressemblent pas. De sa voix précise et lumineuse, révélatrice du quotidien, la poète sème de ces petits riens dans les sillons de nos imaginaires.

Chaque poème en prose représente une toile pleine et pourtant inachevée, histoire de laisser place au devenir du lecteur, de le mettre à l’œuvre et de l’inviter à ajouter un coup de pinceau aux couleurs de son propre univers. À lire à petite dose pour se rapprocher des objets et des êtres. Mon visage dans la mer porte des textes à caresser du regard, à bercer dans le giron de la pensée.

Sur le sentier des mots de Joanne Morency, j’apprécie la souplesse de la route, l’ailleurs imprévisible, le souffle appuyé sur la lenteur entre haltes et avancées. La voix de l’auteure est intense et pourtant discrète. Le recueil est composé de deux parties : six mois à Montréal, six mois en Gaspésie. Un récit de voyage où je parcours la ville, où « l’horizon manque au regard » pour me replonger en Gaspésie et « ratisser la solitude de l’immensité environnante. » Le pouls de la ville et son vacarme s’inscrit tout en saisissement. « Saint-Denis / Sainte-Catherine. Trop de monde. Trop de mots sur les murs. Trop de voix. Trop de bruits de moteur et de mains qui se tendent en tremblant. J’avance d’un bon pas, le dos bien droit contre mon désarroi. » Faire suivre ce tableau magnifique de sobriété par un haïku à peine annoncé. Carré Saint-Louis / dans le bourdonnement urbain / promener mon silence. » Tout est dit sans description élaborée ni narration exhaustive.

Je déambule de page en page dans la ville, accrochée aux petits bouts d’images qui teintent l’âme : un clochard dans une ruelle, un musicien dans le couloir du métro, une panne d’électricité, un banc où s’asseoir pour écrire. La ville se déploie en pièces détachées où se jouent les émotions, les affaires, l’indifférence, l’anonymat et de petits gestes d’humanité. Du déplacement dans l’espace à l’oscillation du temps, j’avance en l’écriture concise et sobre de Joanne Morency.

Après un détour à la maison natale à la rencontre de « La bonne humeur matinale. Le train-train quotidien », l’auteure me ramène en Gaspésie. Le passage de la ville à la campagne : « dernière semaine / aligner sacs de voyage / et soupers d’adieux. » Sa Gaspésie, « L’autre visage de moi-même » avec son vaste ciel, le grand large, la chaleur des relations humaines en pays de connaissances, voilà où nous attire Joanne dans la deuxième partie du recueil. Le retour à l’intime, les retrouvailles avec le chat, les fleurs dans la cour qui ont grandi sans elle, les pièces de sa demeure. Elle y retrouve son corps et l’horizon illimité.

Joanne Morency écrit avec ses yeux, ses oreilles son vide et ses errances. Elle compose minutieusement avec son cœur, ses incertitudes et son trop plein. Un recueil tout en force et en fragilité, porteur de nos brins de vie, de ses mystérieuses composantes. « Tout ce que l’on peut transporter de soi dans la vie » soutient l’écrivaine. Je suis renversée par tout ce qu’elle me permet de transporter dans la mienne, de saisir en toute simplicité, en toute fragilité.

Mon visage dans la mer prodigue matière à réfléchir, à ralentir et à s’étonner. Un recueil qui a « ouvert plus grand le monde en moi. »

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