Quand la visite nous tient

Lettre vagabonde – 7 septembre 2005

Bonjour Urgel,

 Cet été, je n’ai pas projeté de longs voyages. J’avais plutôt misé sur des moments de tranquillité et d’évasion à petites doses en compagnie de quelques amis, d’une pile de bons livres et munie de tablettes de papier Clairefontaine. Le mois de juillet au bord de la mer, le mois d’août du côté de la montagne. Justice égale pour tous mes goûts que je me suis dit. J’allais profiter d’une escapade au ZEC du lac Casault en bonne compagnie, de longues randonnées pédestres sur le sentier international des Appalaches. À la mi-août, un incontournable : le festival des Correspondances d’Eastman. Oh j’avais bien invité à l’avance quelques personnes à venir faire escale chez moi.

As-tu remarqué comme les gens voyagent beaucoup de nos jours ? J’étais sur le circuit de plusieurs voyageurs sans toujours le savoir à l’avance. Nombreux sont ceux qui sont descendus chez moi, se sont assis à ma table et ont dormi dans des draps frais. C’est lorsque je crois qu’il n’arrivera rien de nouveau que tout se met à arriver : l’imprévisible, les surprises, le mystérieux, les découvertes et les échanges. Il faut dire que la visite ça noue des liens ou ça les dénoue.

Inutile de lire des bouquins du genre « Comment recevoir ». Rien de tel que d’apprendre sur le tas. En Gaspésie, nous sommes reconnus pour avoir de l’expérience en ce domaine. La visite apporte avec elle ses habitudes et arrive avec ses attentes. Je les reçois avec les miennes.

L’été, je rencontre des copains et des connaissances en faisant mes courses. J’entends souvent parler de visite. « As-tu eu ta visite ? Ta visite est-elle partie ? À la question que fais-tu de bon cet été, une réponse fréquente : ben, j’ai de la visite. Ces propos prennent une variété de tons, de l’extase au martyre. On dirait que certains se transforment en esclaves ou en victimes plus souvent qu’en hôtes joyeux d’accueillir parents et amis.

Il y a visite et visite. Il y a les proches et les habitués, ceux qui font comme chez eux et me laissent faire comme chez moi. Nul besoin de dérouler le tapis rouge. On se connaît depuis si longtemps que nos goûts et nos besoins s’accordent comme les musiciens d’un orchestre. L’harmonie règne. Aucun stress à l’horizon. On s’amuse ensemble et on partage les tâches. On s’accorde même des moments de silence et de solitude. Arrivent les tout nouveaux, à leur première ou deuxième visite. Quand on se retrouve pour la première fois à proximité dans l’intimité d’une demeure, il importe de se donner une période d’adaptation.

Peu importe le genre de visiteurs à qui j’ouvre toute grande la porte, s’ils viennent pour me voir, autant leur montrer mon vrai visage. J’ai continué à faire des choses que j’aimais et j’ai invité la visite à en faire autant. Si la marée était haute à dix-sept heures, le repas pouvait attendre. Tout le monde à l’eau. Évidemment, peu ont eu l’audace de plonger dans l’eau froide de la baie des Chaleurs. Les gens de la ville sont vendus aux piscines chauffées. Mais la baie des Chaleurs est si invitante que les intrépides s’y sont laissé prendre pour leur plus grand bonheur.

J’adore agrémenter les repas de bonnes et longues conversations. Que d’heures passées à la table du patio laissant la nuit descendre sur nos paroles et en métamorphoser le sens et le ton. La lecture de poésie s’est avérée le dessert servi le plus souvent. La chance a voulu que des poètes partagent nos repas.

Marcher le long de la grève, ramasser des pierres et des agates, traverser les champs à la recherche de fraises, puis de framboises ou de bleuets. Jouer à la pétanque dans le sable a eu des adeptes. Les sites panoramiques de la région, le mont Saint-Joseph, le sentier des Éperlans, les chutes à Normand en ont émerveillé plusieurs. Je n’ai jamais autant découvert la beauté de ma région que depuis que je planifie des sorties avec mes hôtes. Tous ces gens qui m’ont rendu visite à l’été ont laissé leurs empreintes. Quelques rencontres ne portent que des noms qu’on oubliera, d’autres suscitent des émotions passagères. Il en existe des intenses et profondes qui viennent s’installer à l’endroit du cœur comme si je les attendais depuis la nuit des temps. Il fut de ces rencontres privilégiées et parfois inattendues qui ont laissé de belles traces de joie sur fond de plaisirs d’été. Quand j’accueille des personnes qui prennent goût à la baie des Chaleurs, aux montagnes environnantes, qui se gavent des paysages haut en couleurs et en fleurs sauvages, je suis heureuse. Quand la culture, la poésie et les relations humaines sont au cœur des échanges, je suis comblée. Dans l’ensemble, mes visiteurs d’été, j’ai le goût de ne pas les perdre de vue.

Au fond, il n’y a que deux genres de visite : celle qui s’installe chez les gens et celle qui vient vers les gens. Évidemment Urgel, toi et Térez, vous êtes du genre que je ne veux pas perdre de vue.

amitié

Alvina

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