Robert Lalonde et le désir de durer

Lettre vagabonde – 24 avril 2017

La liberté des savanes de Robert Lalonde regorge d’étonnement, de générosité, de curiosité et de questionnements. Ces carnets recèlent une écriture de l’intime si riche et si consciencieusement réfléchie qu’elle s’apparente à nos existences. Lectures, rencontres, anecdotes et confidences sont autant d’éléments vivifiants que nous offre à profusion l’auteur.

Quelques thèmes, comme la mort, se démarquent et se développent sur l’année entière de l’écriture des carnets. La mort intentionnée d’un jeune à court de confiance, de courage et d’espérance est confrontée à la volonté de survie d’un corps d’âge mûr diminué. Le premier a choisi de mettre fin à sa vie, le deuxième obtempère à peine à réduire la longueur de ses enjambées. Robert Lalonde s’adresse au « cher fils en allé de mon chasseur ». Rien de nouveau à fréquenter des fantômes dans ses œuvres, mais ici, l’écrivain compatissant et secourable s’adresse à toute une jeunesse en s’adressant au jeune disparu. « Il me semble que je pourrais, que j’aurais pu, que j’aurais dû le rescaper, ce garçon impatient, ce dériveur enragé, cet obnubilé d’un malheur qui ne lui est pourtant pas propre, d’un chagrin que chacun éprouve à ses heures et qui passe, pour peu qu’on regarde ailleurs »

Lecteur insatiable et admiratif, l’auteur nous entraîne chez ses amis écrivains. De connivence avec Virginia Woolf, Peter Handke, Gabrielle Roy, Nicolas Bouvier et tant d’autres, il dilate le regard, secoue la conscience et nous enjoint de repousser nos limites. Les carnets deviennent un lieu d’exploration et d’échanges entre l’auteur, une foule d’écrivains et le lecteur. Et comme lui, on voudrait proclamer haut et fort : « J’en suis quitte pour l’amitié consolatrice des livres. Je ne les aurais pas eus à mes côtés que ma vie aurait été un interminable chagrin, tant le court horizon du jour le jour m’a toujours rétréci l’appétit d’aventure. »

À travers les carnets, c’est le processus même de l’écriture qui nous est dévoilé. Ses mots à lui, il les cueille dans la nature, les sème sur ses pages et libre au lecteur d’y faire ses provisions. C’est en arpenteur de paysage qu’il repère une source inépuisable d’inspiration. Il écrit : « cette faramineuse électricité du réseau des mots, ces éclairs qui zèbrent sans cesse en nous comme ceux d’un ciel d’orage. »

Peu importe l’influence de nombreux écrivains, Robert Lalonde possède néanmoins son style propre, authentique, coulant et spontané. À la lecture de ses œuvres, j’ai l’impression de profiter d’une conversation animée à sa table de cuisine ou d’être à courir derrière lui vers une forêt giboyeuse, un ciel en furie ou à la découverte de quelque surprenant mystère de la vie. « J’écris parce que je m’entête à ne pas fuir le réel, à ne pas transcender le moment présent » affirme-t-il. Et d’ajouter : « écrire encore, puisqu’écrire comme lire, c’est revoir mais revoir ce qu’on n’avait pas vraiment vu. »

Si « l’écriture est une folie incurable », je souhaite longue vie à la fougue créatrice de ce talentueux écrivain afin de profiter au maximum de sa folle et contagieuse passion de vivre. La nature et le naturel dans lesquels baignent les romans, récits et carnets de Robert Lalonde régénèrent le « défi de vivre ». Ose-t-il un conseil ? « Il nous faut développer et entretenir […] ce plaisir passionnel et gratuit de chercher à résoudre des problèmes, nous montrant ainsi plus proches de la création que de la réaction, prendre note du hasard, refuser de blâmer, ne pas craindre de bafouer l’effervescence postmoderniste et au-delà de tout, croire à la révélation, aux signes et aux prodiges. » La liberté des savanes est l’union de la pensée et de l’action d’un créateur dynamique et inspirant.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *