Les branchés, débranchés, rebranchés

Lettre vagabonde – 11 août 2013

 

En Australie où elle vit depuis vingt-cinq ans, Susan Maushart décide de prendre un nouveau virage en famille. Mère de trois adolescents âgés respectivement de quatorze, quinze et dix-huit ans, elle décide d’éliminer complètement de leur foyer durant six mois tout média électronique. Six mois sans le moindre écran. Elle raconte ce tour de force dans son livre intitulé Pause.

« Mes filles et mon fils ne se contentent pas d’utiliser les médias. Ils vivent dans les médias comme des poissons dans l’eau, avec grâce, avec aisance et sans la moindre interrogation existentielle, ou même la plus simple curiosité, quant à leur présence dans cet environnement. » Des enfants qui ont nagé dans Internet et pitonné sur des séries d’écrans avant d’avoir toutes leurs dents quoi. Susan Maushart réalisait depuis plusieurs années que les médias électroniques agissaient comme une force magnétique en les éloignant de la « vraie vie.» Leurs doigts cloués aux claviers, leurs yeux rivés aux écrans. La mère dort avec son smartphone, son téléphone la suit aux toilettes. Aucune pièce de la maison, aucun moment de la journée n’est exempt de machines. Une famille dans la norme quoi. « C’est un environnement omniprésent, invisible, enveloppant comme une sorte de seconde peau à peu près tout ce que les enfants font, pensent et disent » affirme l’auteure.

Susan Maushart entreprit de faire des recherches sur les effets des médias électroniques sur nos vies. Les résultats sont inquiétants. Aux États-Unis, un adolescent sur deux est exposé aux médias électroniques en moyenne onze heures par jour et cela ne comprend pas les messages SMS et les appels sur téléphone portable. Malgré les recommandations de l’Académie américaine de pédiatrie de ne pas exposer les jeunes enfants de moins de deux ans à la télévision, 70% des bébés la regardent plus de deux heures par jour, les trois à cinq ans, environ trois heures trente en moyenne. Les employés de bureau sont devenus des télétravailleurs et des télétravailleuses, les élèves, des télé étudiants et télé-étudiantes.

Des recherches démontrent un lien entre la croissance du nombre d’enfants souffrant de déficits d’attention, de manque de jugement et de sensibilité consciente et l’exposition aux médias électroniques. Le manque de concentration affecte un grand pourcentage d’enfants d’âge scolaire. L’autisme a grimpé en flèche à l’ère numérique. Un enfant sur cinquante-huit en est atteint. Les chercheurs ont constaté un lien étroit entre autisme et le temps passé devant la télévision. Le travail au mode multitâche change l’organisation des neurones et modifie le cerveau. Les recherches neuroscientifiques ont démontré que pour bien travailler, le cerveau devait fonctionner sur le mode monotâche, une chose à la fois. Les enfants éprouvent de la difficulté à réfléchir, organiser, analyser et mémoriser les informations multiples. Malgré la croyance populaire, le cerveau ne fonctionne pas comme un ordinateur.

Depuis 2008 l’America Journal of Psychiatry a ajouté « Dépendance à Internet » à sa liste de troubles mentaux. Les parents qui pensent que les médias électroniques n’ont aucun effet sur leurs enfants pensent-ils aussi que les aliments que nous mangeons, l’air que nous respirons et le lieu où nous vivons ne nous affectent aucunement? Pourtant, tous font partie intégrante de notre manière de vivre. Les nouvelles inventions on le sait ne font pas que remplir des besoins, elles créent également des besoins. Nicolas Carr, journaliste réputé, estime qu’ « un des plus grands dangers qui nous menacent quand nous automatisons notre travail mental, quand nous déléguons le contrôle du cours de nos pensées et de nos souvenirs à un système électronique puissant, c’est la lente érosion de notre nature humaine et des qualités qui lui sont propres. »

Laissons là les recherches et revenons à Susan Maushart et à ses trois adolescents débranchés : Anni, dix-huit ans, Bill, quinze ans et Sussy, quatorze ans. Qu’en est-il advenu de leur expérience? Les enfants ont reconnu se sentir plus proches les uns des autres. Ils prolongeaient les moments du repas autour de la table, mangeaient mieux. Ils devinrent plus relaxes le soir, dormirent mieux et se levaient enfin reposés. Bill apprend à jouer du saxophone, redevient un lecteur passionné. Sussy élimine ses insomnies, retrouve sa santé physique et mentale et se débarrasse de son irritation constante envers son entourage. Le changement majeur dans la famille Maushart, au dire de l’auteure, c’est que six mois sans écrans les a reconnectés avec « la vie elle-même » a resserré les liens familiaux et a permis d’évoluer en tant qu’individu.

Dans mon entourage, il m’arrive de croiser des enfants rivés constamment à leurs jeux électroniques, des adultes accrochés à leur smartphone, leur iPad. Dans certaines demeures nous retrouvons les enfants devant le téléviseur, dans leur monde, refusant de réagir de quelque façon que ce soit à notre présence sinon pour montrer leur irritation d’avoir été dérangés. L’univers des médias électroniques est devenu leur religion où l’on blogue, tague, texte et twitte avec quelque déité. L’addict à la technologie se comporte comme celui de la toxicomanie. Euphorique pendant l’usage mais souffrant s’il est en manque.  

Heureusement, je croise des adultes qui apprécient encore une bonne conversation autour d’un repas, qui s’adonnent à l’observation de la nature et des êtres qui les entourent, éprouvent de l’empathie et préfèrent la présence de quelques amis au salon aux trois cents sur Facebook. Des enfants et des adultes lisent, s’amusent ensemble, s’aventurent dans la nature. Il existe encore des êtres humains branchés à la vraie vie : être les uns avec les autres. Pause de Susan Maushart fournit une réflexion féconde sur notre manière de vivre dans un univers dominé par les médias électroniques. Entre la soumission et l’autonomie, un choix s’impose. Votre liberté d’esprit en dépend. Pause vous procurera une lecture éclairée et bien documentée.

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