Quand on a la terre à travailler

Lettre vagabonde – 15 juin 2005

Salut Urgel,

La vie à la campagne possède des affinités avec celle de la ville en plein hiver. Mais quand arrivent les mois de mai et juin, nous, les gens de la campagne, reprenons nos droits de propriétaires terriens. Chacun veut embellir son petit univers. Si la population urbaine fait aussi ronronner ses petits moteurs, tondeuses, sécateurs électriques, il me semble que nous mettons plus souvent les mains dans la terre quand nous vivons à la campagne.

Les terrains sont grands et les jardins potagers occupent beaucoup d’espace. Ils exigent un travail plus astreignant que les rocailles, les plates-bandes et autres aménagements paysagers. Mes voisins réapparaissent comme par enchantement dès la mi-mai. Si on ne s’est pas vus souvent durant l’hiver, nous voici à l’extérieur occupés aux mêmes travaux manuels, les deux mains dans la terre. Quand je nous regarde aller, j’ai l’impression d’apercevoir un tableau d’une époque révolue. Le pique, la pelle et la pioche étaient jadis maniées par des bras endurcis aux lourds travaux des champs. Nous exécutons les mêmes tâches avec des outils semblables et répétons les mêmes gestes. Avec la fourche et la pioche, Marie-Claire et moi, nous nous attaquons à extirper le chiendent et les racines de pissenlits laissées par le labour. Ça nécessite des heures de travail avant de semer les premières graines.

Durant l’été, quand je croise des gens de mon patelin, la conversation roule sur les belles tomates de l’un, les choux de Bruxelles d’un autre. On parle patates, fèves et oignons. Chaque été, nous tentons de découvrir pourquoi nos fines herbes traînent la patte dans le coin du jardin. Plusieurs possèdent aussi de magnifiques jardins de fleurs. Je les envie un peu car je n’ai pas le pouce vert.

Il y a toutefois tant de plantes qui poussent sans que l’on y soit pour quelque chose. Ces temps-ci, la rhubarbe fait une haie. J’ai mangé ma dernière salade de feuilles de pissenlit et fait provision de têtes de violon pour l’hiver prochain. Je profite de la rosée et du serein pour humer les parfums des arbres en fleurs qui se dégagent des flacons d’air humide. J’irai même jusqu’à dire que je dévore la nature du nez autant que du regard.

S’il est bon de travailler dehors, il est formidable de voir la nature travailler à se refaire une beauté. J’admire le vert tendre des feuilles, les fleurs et les oiseaux qui se partagent les branches. Les champs de pissenlits ressemblent à de grandes poêlées de soleil fondant. Le soir, les hannetons jouent du tambour contre les vitres. Les papillons de nuit tourbillonnent autour de la lumière ou se déposent, les ailes déployées sur la façade de la maison. J’ai même aperçu deux demi-paons. Sur leurs ailes, brillait une poussière d’arc-en-ciel.

À vrai dire, la nature travaille en même temps que se travaille la terre. L’embellissement spontané monte les décors de la plus belle scène du monde. Le spectacle me gave d’émerveillement. Je me dis que nous contribuons un tant soi peu à la beauté des lieux. Et dire que j’ai tout ça à portée du regard. Ça me console des horreurs de la pollution.

Elles sont à apprécier les petites choses de la vie. Pour un ajout de petits bonheurs à dose modérée, je te suggère de lire le dernier Philippe Delerm « Dickens, Barbe à papa ». Ce sont des bouchées de « nourriture délectables » nous assure l’auteur. Il est arrivé l’été, à apprécier. Voilà ce que je te souhaite à la fin de l’année scolaire.

une piocheuse du terreau

Alvina

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