Lettre vagabonde – 12 juillet 2017
L’œuvre a jaillit au printemps comme une nouvelle pousse sur un terrain en friche. Un bouquet nature, unique et sauvage qu’on ne retrouverait chez aucun fleuriste. Tel est Sentinelles, un volume à modeste tirage, tout discret et qui ne sera pas exhibé dans la vitrine d’une librairie. Il sera présenté sur beau papier glacé à vingt exemplaires à couverture souple et à deux exemplaires à couverture rigide. Tout un privilège que de posséder cet album dont la publication et la distribution sont assurées par les auteurs. Une œuvre en tandem par laquelle la poète Joanne Morency et le photographe Barry Leblanc nous livrent avec leur vive sensibilité une infinie parcelle de la Gaspésie. C’est un livre rare et d’une rare qualité : un livre d’artiste. Il assure une source d’inépuisable contemplation.
Barry Leblanc pointe sa lentille sur les monts Notre-Dame où ondulent, entre matières fluides et denses, la mer, le littoral, les montagnes. Joanne Morency se saisit de la charge de beauté et d’émotion qui reflète l’espace. On la sent happée par l’esprit des lieux. Le pouvoir évocateur de sa poésie transcende l’image. Le paysage s’exprime, elle traduit. La synchronie évidente entre les poèmes et les photographies donnent à lire une nature féconde et spectaculaire. Joanne écrit :
« Tu inventes des reflets
pour étirer le temps
tu me donnes des îles
le ciel à leurs pieds
je reste là
à contempler
évadée de ma peau »
La fusion des images et des mots dévoile un paysage doté de tableaux changeants et de présences multiples.
Il existe une grande générosité et un sens inné de la beauté de la part d’auteurs qui publient à petits tirages sans avantage pécuniaire. Des œuvres réservées à de rares lecteurs, circulant entre amis comme un bien précieux. En maintes occasions, j’ai reçu ces livres tirés à peu d’exemplaires et offerts en général par les écrivains. Ma bibliothèque réserve une place de choix à la collection Les petits villages sous la direction de Bertrand Laverdure, à Les silences de Louise Desjardins, aux trois recueils de vingt grammes de poésie chacun de Patrice Desbiens tout comme à Fantounel de José Acquelin, tiré à quatre-vingts exemplaires. Sentinelles s’avère un ajout majeur à ma bibliothèque. Ce livre d’artiste est un éloquent témoignage à la diversité du paysage gaspésien et à l’inspiration que suscite la nature en ses plus purs éléments. Joanne Morency l’a bien transmis par ces vers :
« il s’agit de renaître
à tout instant
sans se répéter
Je dessine
un commencement. »
Et si à notre tour, on aiguisait le regard, on pointait l’œil scrutateur sur ce lieu nôtre en ses mutations et en son essence. Pourquoi ne pas mettre en mots nos observations, découvertes et émotions comme on fredonne un air connu, pianote quelques notes ou que l’on dessine une fleur. Laissons-nous motiver par René Frégni qui nous incite à écrire. « Tout le monde devrait s’amuser à jeter quelques mots, sans trop réfléchir ni avoir peur, sur la page blanche de chaque jour. » Une seule page peut créer une nouvelle version de l’état du monde. En passant, tu peux emprunter mon exemplaire de Sentinelles à condition de me le remettre sans faute. Si tu sens le besoin de stimuli, il existe en librairie des recueils de poésie de Joanne Morency publiés chez Triptyque ou aux éditions David. Tu seras comblé d’étonnement.