L’aventure pour quoi faire?

Lettre vagabonde – 25 mars 2015

L’Aventure pour quoi faire? Beau titre du livre qui donne un sens à l’aventure et questionne les effets trompeurs de la surprotection que nous impose la société du XXIe siècle. Avons-nous perdu le goût de l’aventure? S’est-il dilué devant le besoin de sécurité maximale? Des penseurs et grands aventuriers se penchent sur la question dans ce manifeste incisif. En introduction, Patrice Franceschi écrit : « et si l’esprit d’aventure était l’une des dernières armes en notre possession, avec l’art et la poésie, pour nous permettre de demeurer libre dans un monde de plus en plus  formaté, surveillé, mesquin et précautionneux? » J’adhère à la pensée des onze auteurs qui partent à la défense de l’esprit d’aventure et de son utilité. Ils nous incitent à dépasser les limites de notre territoire, à découvrir d’autres vérités.

J’ai l’impression que l’esprit d’aventure a été remplacé par le commerce de l’aventure, le goût du risque par la peur et l’imagination par le prêt à penser. Par des jours chauds de juillet, j’ai traversé une dizaine de villes et villages pour constater l’absence quasi totale d’enfants dehors. Les compagnies de divertissements virtuels et réels se sont substituées aux jeux que s’inventaient les enfants. Les jeux vidéo et parc d’attractions ont pris d’assaut l’esprit d’aventure des jeunes et moins jeunes. Chez les personnes âgées, le moindre oubli représente un danger et la menace d’institution plane au-dessus d’eux. Combien d’entre eux se risquent à l’extérieur? Aux États-Unis, à l’entrée d’un centre commercial et dans un aéroport trônait un gigantesque thermomètre indiquant le degré de danger d’attentat terroriste ce jour-là. Dans ce pays armé jusqu’aux dents, la peur est omniprésente et intentionnellement entretenue. Et que dire de ces « gated community » où seuls les résidents peuvent circuler librement dans leur enclos muni d’un  système de sécurité maximum. On nous affuble de tant d’appareils et de vêtements de sécurité que le principe de précaution éteint la prise de risque. Médecin, historien, globe-trotter, écrivain, et diplomate, Jean Christophe Rufin dénonce nos sociétés qui considèrent l’être humain comme une victime réelle ou potentielle et non comme un acteur responsable de ses actes.

« Les libertés ploient sous le poids sans cesse croissant de normes, de règlements et autres principes de précaution (…) et détruisent la capacité des hommes à l’exercice du libre arbitre, de l’autonomie et de la responsabilité, » dit Olivier Archambeau. Sous prétexte de se protéger, nous excluons le risque de nos vies. L’aventure est sans contexte du côté du risque et la curiosité, la nécessité d’émotion stimulante et la soif d’apprendre en sont des éléments majeurs. Sylvain Tesson affirme que « l’aventure exhorte à la curiosité, invite à se détourner des écrans pour regarder par la fenêtre » et que « l’aventure est un principe intensificateur, elle densifie les émotions, alourdit le souvenir et retient le temps. »

L’aventure n’est pas seulement le fait de faire les choses différemment, elle nous permet surtout de capter le monde autrement. « L’aventure est à notre porte, elle est accessible à chacun d’entre nous » dit Laurent Joffrin. Il s’agit de s’ouvrir à l’étrange et à l’étranger, à la différence et à l’originalité. Il est étonnant de voir comme nous admirons les personnes qui prennent des risques, les marginaux, les aventuriers, les fonceurs au niveau des actions et des idées tout en étant réticents à suivre leur exemple. L’écrivaine Suzanne Jacob déplore le fait que nous craignons même de donner notre opinion.

Ce sont les gens curieux qui prennent des risques, et par leurs idées et leurs actions contribuent à transformer le monde. Louis Pasteur, Ella Maillart, Sylvain Tesson et Marie Curie sont des aventuriers. L’enfant qui escalade une butte de neige, grimpe dans un arbre, questionne un règlement familial ou scolaire est aussi un aventurier. Les écrivains et les artistes sont des êtres qui dépassent leurs limites. Grandir signifie oser questionner l’ordre des choses, se risquer dans l’inconnu et entretenir cette soif de connaissance. Découvrir le monde par soi-même, créer, construire sa propre existence, transformer ses propres expériences en conscience exigent de sauter hors de notre zone de confort et de certitude. Tristan Savin, un grand reporter, résume bien cette façon d’apprivoiser la peur de l’inconnu et de foncer. « Aimer l’aventure, c’est pousser une porte sans savoir ce qu’elle cache. Suivre un étranger sans connaître sa destination. C’est le goût du risque. Non pas seulement physique. Ne pas craindre pour sa réputation, son confort, sa santé mentale. » L’aventure pour « être actif et non passif, souverain de sa vie et non sujet implorant du maître tout puissant que serait la société »  affirme Jean-Christophe Rufin.

Et comme les auteurs de L’Aventure pour quoi faire? J’ai puisé dans les livres mon goût d’aventure, la soif des voyages qui mènent ailleurs et vers les autres. Les livres nous transportent de l’autre côté de nous-mêmes où il nous reste tant à découvrir. Il n’existe pas de meilleurs stimulants que la lecture de ces esprits nomades, épris de liberté, pour donner le goût de se lancer dans l’aventure à tout âge de la vie.

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