Les insatiables passionnés de beauté

Lettre vagabonde – 3 décembre 2019

 

Après nous avoir entretenu de bonté dans son dernier roman, Robert Lalonde nous fait cadeau d’une œuvre qui chante les louanges de la beauté. « Fais ta guerre, fais ta joie » éclate de beauté à rechercher, à inventer. La création artistique et littéraire occupe une place de choix. L’auteur rend un bel hommage à son père, un être passionné de peinture mais graphiste par obligation. Un homme complexe, exalté à ses heures, en lutte contre ses propres monstres, mais souverainement artiste peintre. Au cours du récit, on est témoin d’éruption volcanique d’émotions tant la relation père-fils et leur relation avec l’art subissent de chaotiques bouleversements.

La figure centrale est celle du père qui d’entrée de jeu s’empare du lecteur, l’étonne et le subjugue. « Vous n’en reveniez pas : il inventait sous vos yeux un soir du mois d’août, ou encore un mur vermoulu de la cave […] le sourire en coin, il s’arrêtait, essoufflé comme s’il venait de courir du bord du lac au perron de la maison, se laissait tomber comme un assassiné sur un banc. »

Le récit alterne entre le « vous » et le « il ». L’emploi du vous transpose le rôle du narrateur au lecteur. Voici que l’on s’adresse directement à l’écrivain comme si on le connaissait mieux que lui-même. Le vouvoiement porte des yeux de loupe d’une clairvoyance redoutable. L’auteur, lui, nous révèle son père à la troisième personne créant l’effet d’une double narration. Tout se déroule sur le vif.

Le père tiraillé entre création et gagne-pain est un être déchiré mais persistant et passionné. « Nulle trace sur la toile de son chagrin de prostré. Nulle déchéance n’est visible sur le canevas, la persistante malchance n’apparaît pas, le mal de vivre est escamoté au profit d’un foisonnement floral. »

De son côté, l’adolescent prend modèle sur le père. Il s’enflamme d’une passion similaire : l’écriture. Pour y arriver, il fréquente la grande école de la nature et celle des livres, les deux indissociables. « Naïf, brut, allégorique, vous l’êtes aussi dans vos phrases à la fois libres et menacées. »

Sous la plume généreuse de Robert Lalonde, le récit effectue de magnifiques plongées dans l’univers des peintres et écrivains. Défilent dans la force de leur création Cézanne, Marc Aurèle Fortin, Zola, Monet et tant d’autres. On ressent l’admiration et la reconnaissance envers ces créateurs qui ouvrent les chemins et contribuent au cheminement des êtres. D’émouvantes escales comme chez Giacometti : « Je peins et je sculpte pour mordre dans la réalité, pour me défendre, pour me nourrir, pour être le plus libre possible, pour faire la guerre, pour la joie. »

Mots que transmet le père à son fils. « Prends ton courage à deux mains mon gars, fais ta guerre, fais ta joie., continue!

Le récit est un cri du cœur à la création, un hommage au père et à ceux qui ensemencent de beauté cette terre, qui l’entretiennent à coups de couleurs, de formes et de mots. Des créateurs d’embellie.

Robert Lalonde est un écrivain proche de ses lecteurs. La passion de cet éternel insatisfait nous stimule. « Ce qui existe, c’est l’acharnement », écrit-il. Accorder aux pensées et aux gestes une seconde vie, une autre interprétation comme si nous n’en finissions plus de naître. N’est-ce pas là où réside la puissance de l’écriture de Robert Lalonde, dans le devenir? Daniel Pennac le résume bien. « Naître c’est à la portée de tout le monde! Mais il faut devenir ensuite.! Devenir.

Une fois accueilli dans ma bibliothèque, chaque livre de Robert Lalonde ne cesse de m’interpeller. Il persiste à me secouer, me guider et m’émerveiller. L’écrivain est un activiste de circulation créatrice. Il ranime corps et esprit et réchauffe l’âme. Peu enclin au diktat de bonnes résolutions, Robert Lalonde nous enjoint d’entamer notre propre évolution.

1 commentaire

  1. Chère Alvina,
    La lecture de ta chronique m’a fait comprendre pourquoi j’apprécie depuis si longtemps un de nos plus grands auteurs québécois.Pour te paraphraser, je dirais que toi aussi tu es « une créatrice d’embellie »…

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