Lettre vagabonde – 29 janvier 2003
Cher Urgel,
Lors de ta dernière escale à la Tourelle, j’ai savouré ce moment privilégié à la table du petit déjeuner où nos silences nourrissaient de mots les pages du journal intime. Dire qu’avec un stylo-plume et un carnet, on peut changer le monde, l’imaginer, le découvrir, le comprendre et cela en toute subjectivité et en toute liberté.
Le journal intime, un carnet d’écriture qui sied bien à tous les âges, qui permet de reprendre possession du langage. C’est un moyen de couper les ponts pour se retrouver sur les rives de la solitude sans contrainte et sans interdiction. Le diariste se soustrait aux regards d’autrui et s’aventure en les plus folles audaces.
Écrire un journal intime est une question d’équilibre dira l’un, de thérapie affirmera l’autre. Je suis convaincue Urgel que le journal est l’occasion privilégiée pour entrer en communion avec la personne la plus importante de ma vie : moi. Si c’est de l’égocentrisme, soit. Avec les mots instigateurs de mes errances et de mes retrouvailles je peux bifurquer dans toutes les directions. Écrire pour soi c’est créer, recréer et transformer son univers avec les affects du quotidien.
As-tu remarqué Urgel que le gens s’accordent de moins en moins de moments de solitude ? Ils n’osent pas. L’écriture du journal est la portée de la main. Un stylo et un carnet suffisent. J’encourage fortement les gens à écrire leur journal intime. Si tu rêves d’être audacieux, osé et sans scrupule, voilà ta chance. Ce sera une ancre solide durant les intempéries, une boussole qui t’oriente dans tes projets et un passeport vers le pays de l’imaginaire. Le journal te portera conseil. Tu y retrouveras l’essentiel tête-à-tête avec ta conscience. Le journal intime est l’instrument qui contient le plus de cordes de sensibilité. Ce cahier permet d’éviter de ressasser trop longtemps tes malheurs, de retrouver vite l’espoir. S’il sert aussi de thérapie, c’est par le silence qu’il t’accorde. Le journal intime conjugue à tous les sens ta raison d’être.
Depuis l’adolescence, la lecture des journaux intimes me captive et m’interpelle. Évidemment, j’ai lu comme tout le monde « Le journal d’Anne Frank », le chef d’œuvre de ses treize ans. On ne cesse de le faire revivre par l’édition et le cinéma. Le célèbre journal à quatre mains des frères Edmond et Jules de Goncourt traverse le XIXe siècle de ses cinq mille pages. Il y brosse un tableau assez caricatural de l’époque. Virginia Woolf a écrit avec une admirable précision cinq volumes de son journal où le talent littéraire vaut celui de ses chefs d’œuvre romanesques.
Plus près de nous, j’ai apprécié le « Journal » de Henriette Dessaulles qui dès l’âge de quatorze ans nous révélait confidences et mœurs de son époque. Lucy Maud Montgomery nous offre trois magnifiques volumes d’extraits de son journal intime. Ce fut pour elle un geste de survivance et d’équilibre.
Ma plus grande découverte fut celle d’Anaïs Nin lors d’un séjour à Nantes en 1974. Tandis que je parcourais des yeux les rayons achalandés des livres de poche d’une petite librairie, le « Journal » d’Anaïs Nin s’imposa comme un choix indéniable. J’avais rencontré une écrivaine qui se permettait d’écrire tout. Aux éditions Stock, je me suis procuré les quatre autres volumes du journal dont j’ai parcouru avidement chaque mot d’amour de la vie. Comme l’affirme Anaïs Nin dans son premier tome, le journal permet de s’offrir « le culte du leadership inconscient, le culte du mystère de l’évasion de la fausse logique. »
Écrire un journal, c’est écrire comme l’on pense, dans l’ordre et le désordre ; c’est se faire confiance et laisser les mots nous amener où ils veulent. Nul besoin d’être écrivain pour tenir son journal. Le pouvoir des mots rend justice à ceux qui l’utilisent. René Char dit à propos d’eux : « Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. »
Bonne continuité d’écriture Urgel. Je demeure fidèle à mon journal. J’espère qu’il en est de même pour toi. Suivons les pas de Lucy Maud Montgomery qui confia qu’écrire lui était aussi essentiel que de se laver le visage quotidiennement.
Une diariste tenace
Alvina
Chère Alvina
Après les dictionnaires, le journal intime, un doublé, tu tombes Alvina en terrain conquis. Les deux entités me sont familières pour l’argumentaire qui en suivit et pour l’un et pour l’autre. Je m’en tiendrai au second,« le silence qui nourrit de mots les pages du journal intime, reprendre possession du langage, mots instigateurs d’errances et de retrouvailles, tête-à-tête avec sa conscience », j’ajouterais peut-être qu’écrire un journal c’est établir une correspondance soutenue avec soi-même. Pourquoi, pour voir, pour savoir l’orientation, le cap que prend sa vie et apporter des corrections.
Loin d’être aussi savant que tu l’es à propos dudit journal, j’en ai tout de même lu quelques-uns adolescent alors que je fréquentais comme pensionnaire le Séminaire de Sherbrooke d’avant la commission Parent, je m’en étais ouvert dans Ma Petite Histoire que tu connais:
«Bien que j’écrivisse comme des pattes de mouches, une écriture de docteur répétait ma mère, j’ai commencé à écrire un journal intime au Séminaire de Sherbrooke en 1964, un journal intime où je notais chaque jour qu’est-ce que j’avais fait, ce qui me passait par la tête, c’était une tablette à feuilles lignées avec pour couverture l’image du pape Jean XXII, I… ¸ça m’apportait des moments de réflexion et de méditation que j’entretiens encore pour voir où j’en suis, pour voir vers quoi me diriger. Écrire est salutaire, même si parfois on décide de brûler ce qu’on a mis sur papier, écrire c’est faire une pause, profiter de la lenteur du moment, reculer pour mieux sauter. Le livre qui m’a aidé davantage à écrire c’est celui de Julia Cameron, Libérez votre créativité » et c’est toi qui me la fis connaître.
Aujourd’hui mes journaux, mes carnets me servent surtout à faire des bilans, monter des projets ludiques et bâtisseurs pour renforcer notre vie de couple.
Exemples de journal intime:
https://bit.ly/3dX4WmZ