Lettre vagabonde – 15 juillet 2009
Chère Suzanne,
As-tu déjà ressenti le besoin de te perdre l’été quand le temps cherche à t’avaler tout rond? As-tu recherché la solitude lorsqu’à la saison estivale, la foule s’agglutinait en tout lieu? Il existe de rares portes secrètes par lesquelles s’évader. Après plusieurs semaines mouvementées autour d’événements rassembleurs, j’ai cherché la clé des champs et l’ai trouvée. Un grand livre blanc signé Joël Vernet a déployé sa sente de liberté juste à mes pieds. J’ai ouvert le volume. Le vacarme s’est tu. Le temps a perdu ses aiguilles irritantes. Des Notes éparses se sont amplifiées dans l’air frais, des notes vibrantes et harmonieuses.
J’ai ouvert le grand livre blanc comme on ouvre une boîte aux lettres. Effectivement, il y avait correspondance. Joël m’écrivait : une lettre au voyageur immobile. Une missive intime dans laquelle il me fait des confidences. «Vous savez comment je vis : d’instinct. Vous savez comment j’écris : de souffrance et de joie » m’avoue d’emblée l’auteur. Il raconte une journée en Sardaigne, teintée d’ailleurs, orientée vers la rose des sens. Une journée peut se saisir de toutes les autres. Chaque jour est un voyage et en même temps, voyageur. Voici ce qu’il me raconte Joël : «Le voyage est un mouvement dans l’espace. Rien de plus. Nous l’aimons pour cela, pour la beauté des paysages, pour les regards qu’il nous permet de croiser n’importe où sur la terre. Nous l’aimons pour la vie profonde qu’il nous offre. Mais le voyage aussi sait se tenir dans le silence d’une chambre quand le monde vient hurler derrière ses murs. » Plusieurs carnets accompagnent la lettre.
Le carnet intitulé l’homme désaffecté est composé de notes éparses, fines et élancées comme des brins d’herbe. De la pure poésie en prose s’en échappe. Au lecteur de l’attraper, de s’en saisir comme d’une bouée sur laquelle s’inscrit la force de la créativité. Joël Vernet raconte son errance dans l’univers des mots, sa trousse de survie, sa bouée de survivant. Le sang de son langage finit par couler dans les veines de mon imagination. On y puise sages conseils et mûres réflexions. « Nous ne sommes que des commencements, jamais des fins. Rien ne s’achève jamais en nous. Mais un jour, tout nous abandonne. Nous vieillissons dans l’énigme de vivre et d’écrire, les yeux écarquillés alors que la nuit voudrait tant les clore. »
Un troisième carnet imprégné de lumière, de vent et d’espérance a pour titre la lumière n’est à personne. Il se veut un hommage à l’artiste peintre qu’il admire : Christian Forestier. Mais Joël Vernet a ce pouvoir que détient le regard de certains portraits en peinture : ses yeux suivent l’œil qui s’y pose. Lire ces pages, c’est se laisser guider sur le chemin de la lumière qui ramène ou mène vers les autres. On y croise René Char, Henri Michaux et Rimbaud. On entrevoit des compagnons de voyage. Ce texte s’imprègne d’espérance car si « On préfère voir son ombre courir et courir encore dans le monde comme une folle », c’est que la lumière l’enveloppe et invente ses pas.
Le dernier texte du grand livre blanc a pour nom la lumière dans les arbres. Joël Vernet déambule dans la nature sauvage, s’y recueille comme dans une chapelle. Il s’aventure en ses sentiers qui le conduisent au bout de lui-même, là où chacun se retrouve; moi aussi. L’œuvre intitulé Marcher est ma plus belle façon de vivre se termine sur le crescendo du grand mouvement : la marche. L’auteur proclame ainsi sa passion : « Marcher a toujours ouvert pour moi les perspectives d’une narration possible mais je sais si mal expliquer cela. Comment, en effet, en marchant n’importe où, que ce soit à travers les ruelles d’une ville (je pense ici à Lisbonne, à Alep) ou bien dans une campagne étrangère où nulle silhouette n’apparaît jamais, conclure à cette écriture itinérante faisant du je un nous. »
La grande finale de Marcher est ma plus belle façon de vivre donne le monde à découvrir en s’appropriant un bien précieux et indispensable : le temps. « Oui, ce ne sont plus les rôles, les fonctions, les métiers qui devraient être un enjeu mais le temps, cette notion impalpable, floue, que nous avons tant de mal à maîtriser », soutient l’écrivain. Notre survivance ne sera assurée que si l’on prend « le temps de s’asseoir, d’attendre, de contempler. » C’est plus fort que moi, lorsque Joël Vernet appuie ses doigts sur les cordes sensibles de la nature, je chausse mes bottes et prends le large. Les vastes horizons, porteurs de géopoésie, s’étendent alors à perte de vue aux confins de la vraie vie.
Amitiés,
Alvina