Chère Caro

Lettre vagabonde – 5 mars 2003

Chère Caro,

Ta lettre du 10 février est entrée en coup de vent dans ses feuilles par la porte ouverte de ma conscience abasourdie sous ta tornade de questions. « Pourquoi la vie sourit à certains et pas à d’autres ? » me demandais-tu en une panoplie de questions plus agitées et pressantes les unes que les autres. Tu t’interroges sur la chance, la pauvreté, le talent, le travail, la famille et les amis.

Et si on causait de chance ? La chance, selon moi, c’est ce qui vient avant, avec et après chaque pensée. Tu compares la vie à un film préenregistré. Tu sais qu’on peut choisir une centaine de montages d’après une série d’images. Une part essentielle de notre cheminement dépend des choix que nous faisons. Nous ne pouvons pas modifier les images de notre enfance mais elles peuvent servir à transformer le montage de notre vie. Tu sais comme moi que la vie de certains n’est qu’une accumulation d’images répétitives. D’autres dirigent la lentille dans tous les sens, sans discernement et sans arrêt. Les premiers manquent de repère et les autres s’égarent. Il y a autant de chance ou de malchance à être assis sur sa fortune qu’à être installé dans sa pauvreté. As-tu remarqué la sympathie, la compassion et même la pitié que l’on a pour les plus démunis de notre entourage ? Observe aussi le mépris, l’envie et même la haine que l’on éprouve pour les grands riches. La chance et la malchance attirent et repoussent.

Tu as raison de déplorer l’état de pauvreté, le manque d’emploi et la malchance de certains amis. Personne ne possède tout pour être heureux ni tout pour être malheureux. Ce sont les choix que tu fais d’après les rêves qui t’habitent et les projets que tu réalises qui font une différence dans ta vie. La vie ne t’appartient pas. Ta vie, si. Une personne sage m’a conseillé un jour de me poser trois questions essentielles :

1) Qu’est-ce que tu veux ?
2) Qu’est-ce qui t’en empêche ?
3) Que vas-tu faire avec ça ?

Ce sont peut-être de bonnes questions pour quiconque veut avancer. Cheminer, c’est changer les choses pour donner vie à toutes les personnes que nous pouvons être. Les obstacles sont là pour nous faire grandir. « Quand on fait un grand détour et qu’on ferme les yeux » comme dit Félix, rien ne va plus. Les obstacles s’accumulent. Le film tourne toujours la même scène. La vie stagne.

As-tu remarqué que des gens victimes de malheurs à la tonne sont quand même heureux ? C’est plus qu’une question d’attitude, crois-moi. Ce que l’on fait avec nos malheurs nous rend à nous-même. Je te raconte une anecdote ? Mon frère Marcel me téléphone un jour de l’hôpital. Il voulait me voir. Je m’y précipite. Dès qu’il m’aperçoit, il me dit : « Tu parles que je suis chanceux, je viens d’apprendre que j’ai un cancer de la prostate. » Je reste bouche bée sous l’effet du choc. Un cancer, une chance ? Il divague ma foi. C’est le type optimiste, mais il y a des limites. Il s’explique. « Ce matin, je me suis levé avec une vive douleur à la jambe. Tous les symptômes d’une phlébite. Je me rends à l’hôpital. Les tests découvrent non pas une phlébite mais un cancer de la prostate. Tu vois ma chance ? Si je n’avais pas eu ce malaise, mon cancer de prostate aurait fait son ravage avant d’être dépisté et soigné. » Je suis revenue de ma visite à Marcel avec toute la chance de mon frère dans ma pensée. Il m’est revenu alors les paroles de Richard Bach dans son livre « Illusions » : « Toutes les personnes et tous les événements dans ta vie sont là parce que tu les as attirés là. Ce que tu choisis de faire avec ne tient qu’à toi. »

Connais-tu le philosophe Pierre Bertrand ? Il termine un chapitre sur nos forces et nos faiblesses par cette réflexion : « Tout ce qui empêche l’homme de vivre est en même temps ce qui le propulse en avant, ce qui le force à se dépasser. Ce qui le tue le fait vivre. »

Ou encore, des gens à qui il n’arrive rien, Bertrand déduit : « Quand l’homme passe trop facilement à travers la vie sans trop ressentir, sans être bouleversé, sans trop souffrir, c’est souvent qu’il s’insensibilise, qu’il se crée une solide carapace qui l’aidera à travers les épreuves. »

Quand tu vis ta vie comme si rien ne pouvait être changé, aucun rêve à rêver, des projets avortés, tu cours le risque d’avoir de la malchance. Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce qui t’en empêche ? Que vas-tu faire avec ça ? La chance, c’est un long fil d’avant, d’avec et d’après toi.

Si tu veux, je te réfléchirai d’autres commentaires. Que ta vie te soit bonne chère Caro. Comme toi, ta tante tente sa chance. Voilà.

alVina

1 commentaire

  1. Cette lettre vagabonde, bien qu’elle ne me soit pas adressée, je tiens à y apporter mon commentaire.

    Voilà que le texte La Petite Histoire d’Urgel à L&R, un récit concernant non pas la vie mais plutôt ma vie, se concluait par ceci en juillet 2020 :
    « La vie est un jeu d’échec, il importe de placer ses pions et de développer des stratégies pour protéger ses acquis et aller de l’avant. Ne serait-il pas bon de clore cette discussion par les trois question d’Alvina? D’y répondre dans le respect de ce qui nous a été donné : enfance, famille, environnement, amour, réussite! »
    • Qu’est-ce que je veux?
    • Qu’est-ce qui m’en empêche?
    • Qu’est-ce que je vais faire avec ça?

    Des phrases tirées de mes pages du matin le 17 mai 2003, phrases écrites de tes mains Alvina sur un papier maintenant jauni alors que je vivais un moment mi-figue, mi-raisin dans une fin de relation amoureuse alors que je partageais des moments délicieux auprès des mes amies au chalet de Dianne. En juillet j’y revenais en plein choc amoureux avec mon épouse Térez dont tu scellas l’union en célébrant notre mariage quelques années plus tard.

    C’est donc un leitmotiv qui cartonne à plein régime! Tes paroles parfois Alvina se boivent comme un précieux élixir.

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