Vieux-Québec

Lettre vagabonde – 20 novembre 2002

Salut Urgel,

Ton dernier voyage à Québec semble t’avoir nourri et le corps et l’esprit. Je te voyais sortir d’un bon film au Clap et te diriger vers un quatre fourchettes de la vieille cité. En passant, ravie que tu aies déniché quelques récits de voyage lors de tes escales à la Librairie Pantoute et à la Librairie générale française. Tu as raison Urgel de t’accorder les plaisirs, les privilèges et les récompenses que peut t’offrir Québec.

Quand je prends rendez-vous avec le Vieux Québec c’est pour y flâner, ralentir. Tout m’y incite. C’est la ville du flâneur. Les rues se déroulent sur des décors coulissant à l’arrière-scène. Dans le vieux Québec, la rue remplit tous les trous du temps. Au moindre regard, je me décroche ici un XVIIe siècle et là un XIXe. Les époques défilent, je saisis leurs substances. Des panneaux, des plaques et des enseignes racontent l’histoire. Ça ressemble à un gigantesque album où les photos s’animent à mesure que tournent les pages. La pierre respire, donne le pouls de sa ville. Elle ressuscite les strates du temps. Des mémoires successives s’entrechoquent. Je deviens autre tant mon esprit devient habité par l’esprit des lieux.

À flâner des heures et des heures d’un pas lent, l’espace se rétrécit entre le mouvement et l’immobilité. Les formes oscillent avant de se métamorphoser sous mes yeux. Me voilà encore partie à flâner Urgel. Je te reviens avec une toute dernière confidence, invraisemblable mais vraie. C’était dans le Vieux Québec. Un matin d’hiver, glacial, blanc, rigide à faire craquer la pierre. Je flânoche engourdie par le froid. Soudain, une vitrine me renvoie une image. Le regard est triste, le visage jeune. Le corps est revêtu d’un long manteau. Les doigts gelés sont tachés d’encre. Je m’éloigne saisie et confuse. J’entre dans un café familier de la rue Sainte-Ursule et m’installe à la table ronde dans le coin. Je sors mon cahier, mon stylo-plume et là… Nelligan se met à écrire :

« Que vous disent les vieilles rue
Des vieilles cités?…
Parmi les poussières accrues
De leur vétustés,
Rêvant de choses disparues,
Que vous disent les vieilles rues? »

Ça ressemble drôlement à ton expérience à Saint-Boniface avec Gabrielle Roy, tu ne trouves pas ? Les flâneries absorbent le réel. L’imagination s’approprie le temps et le transpose là où bon lui semble. C’est une mise en scène où tous les rôles sont possibles.

Le vieux Québec, c’est un hôte accueillant et flexible. Il s’adapte au goût de chacun. Qui sait, j’accepterai peut-être ton invitation d’y séjourner quelques jours avec toi en décembre.

Amitiés,

Alvina

1 commentaire

  1. Quel plaisir de relire après tant d’années ces passages oubliés! Je me rappelle t’avoir visitée ta sœur et toi alors que vous logiez au Petit Hôtel, ne sommes-nous pas sortis marcher en soirée à faire les 310 marches de la Promenade des Gouverneurs donnant sur le fleuve? Peut-être me trompé-je, fut-ce-t-il une autre fois? Québec n’est pas si loin, on y retourne facilement pour s’imprégner de ce dont tu décris si bien Alvina. Je suis souventes fois retourné au Pettit coin latin 8½ Ste-Ursule où tu m’amenas casser la croûte, Nelligan toujours là poursuivant:

    Alors que vous y marchez tard
    Pour leur rendre hommage:
    — « De plus d’une âme de vieillard
    Nous sommes l’image. »
    Disent-elles dans le brouillard,
    Alors que vous y marchez tard.

    De belles images de tant de lieux traversés nourrissent encore nos êtres.

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