Lettre vagabonde – 20 mai 2013
Dans le Devoir des 4 et 5 mai, Nancy Huston s’objecte à la fermeture d’une école Waldorf au Québec. Le sujet m’intéresse autant que son auteure même si j’ai quitté l’enseignement depuis belle lurette. J’ai quelques reproches à adresser à l’école publique. Le système fait trop de malheureux pour me laisser indifférente.
L’école Waldorf est une école privée basée sur la philosophie de Rudolf Steiner, ce pédagogue qui visait à harmoniser l’être physique et l’être spirituel. Ce que les critiques reprochent à cette école, c’est que « de grands pans de certaines matières obligatoires n’y sont pas enseignés. »
Nancy Huston a fréquenté ce genre d’école au secondaire et y a trouvé un apaisement harmonieux, des connaissances variées et la réussite scolaire plus près d’une vie réussie. Elle blâme plutôt l’école publique de suivre l’éthique protestante, « individualisme forcené, compétition, scission du corps et de l’esprit. » Elle l’accuse également d’oublier le corps pendant les heures de classe. « Ne faire aucune pose, aucun arrêt, ne marquer aucune transition. Ne pas s’aider les uns les autres, ne pas discuter de ce que l’on apprend pour le digérer, en considérer l’utilité, l’importance. Non; prouver qu’on est dans le coup avec des technologies de pointe, dès que possible. Lire plus vite, écrire plus vite, […] finir l’école plus vite, décrocher une job plus vite, partir à la retraite plus vite et mourir plus vite. Ouf, c’est fini. »
Lorsque j’entends les experts et les dirigeants en éducation parler d’esprit compétitif, de productivité, d’excellence, de rendement optimum, de dépistages précoces et j’en passe, je trouve que l’on se rapproche plus d’une chaîne de montage dans une usine que d’une école. À l’instar de Nancy Huston, je m’insurge contre cette tendance de vouloir à tout prix augmenter le rendement de l’individu, de maximiser ses performances et forcer la compétition. Avez-vous remarqué que l’on parle de tableau intelligent, de téléphone intelligent, mais de l’enfant, on dit qu’il est performant, productif ou sinon à risques. Et parlons-en des risques. Fréquenter l’école est un risque, risque de se faire diagnostiquer et évaluer comme un être à déficits multiples. Certains enfants sont dotés de plus de mentions au bout de leur nom que les grands diplômés. Les déficits en ci et ça augmentent autant sur le plan mental que physique. Je pense au nombre d’élèves qui se transforment en patient à soigner au seul profit des compagnies pharmaceutiques, mais je m’abstiens de développer ce point.
Depuis la création de tests uniformisés et de diagnostics élaborés, le système d’éducation est tombé dans la mesure à tout prix telle qu’on l’exerce dans les entreprises. La théorie de Taylor, jugée trop déshumanisante, a été abolie par de nombreuses compagnies tandis qu’elle fait encore fureur dans les établissements scolaires. La théorie consiste à décomposer le travail en unités indépendantes et complètement programmées, puis à assembler ces unités de temps d’une façon à exiger plus de rendement dans le travail et une plus grande performance de la part de l’employé. À la veille de l’an 2000, j’ai subi ce système de temps structuré et non-structuré. Des minutes disparaissaient mystérieusement dans une journée scolaire. Aller aux toilettes, rentrer et sortir pour la récréation, se rendre d’un endroit à l’autre se classaient parmi le temps inexistant, comme si on s’arrêtait tous de vivre en dehors des minutes calculées pour chaque cours. C’était à détraquer l’horloge et le gros bon sens.
Puis vint l’époque de l’excellence en éducation qui perdure toujours, excellence basée sur deux volumes de Thomas Peters préconisant l’organisation et les principes d’une entreprise rentable et efficace. Ajoutez à cela la technologie utilisée à outrance et vous obtenez des enfants et des enseignants stressés, catalogués, rarement à la hauteur. Vous êtes alors confrontés à un système qui mise plus sur l’accroissement des résultats en lecture ou en mathématiques que sur la qualité des êtres humains.
Je suis convaincue que ce qui assure une vie réussie à un enfant, c’est sa relations avec ses parents. À l’école c’est la relation enseignant-élève qui s’avère fondamentale à l’apprentissage. Afin de permettre une saine relation entre l’enseignant et l’élève, il importe de leur laisser faire des choix, de prendre des décisions et surtout de passer de bons moments à échanger sans que le sujet en soit obligatoirement mesuré par une notation. L’école n’est pas un camp d’entraînement, l’enfant n’est pas un candidat aux jeux olympiques et l’enseignant, nullement un entraîneur sportif.
Les experts en éducation auraient intérêt à lire L’enfant stressé, celui qui grandit trop vite et trop tôt de David Elkind. Cet essai, publié en 1981, est toujours d’actualité. Daniel Pennac affirme que les enfants sont instrumentalisés. Nous les orientons vers la productivité et la performance. Mais où donc est passée la soif d’apprendre et la passion d’enseigner? Les enseignants sont confrontés à des missions impossibles et les enfants à des responsabilités et des attentes insupportables.
L’entrée d’un enfant à l’école exige un dépistage si exhaustif qu’on se croirait dans le bureau du médecin. Les méthodes pédagogiques ressemblent parfois à des prescriptions médicales. Laissons donc aux enfants le droit d’être des enfants et aux enseignants celui d’enseigner à l’intérieur d’une relation saine et humanisante. Et si l’école Waldorf se voulait un moyen pour y arriver? On y respecte peut-être moins les programmes mais on y déploie un plus grand respect envers l’enfant.