Lettre vagabonde – le 18 juin 2012
La correspondance d’écrivains possède depuis d’ores et déjà ses lettres de noblesse. Mais les publications de correspondances récentes se font rares. Le genre épistolaire a perdu des plumes. Au Canada, on a publié entre autres les lettres de Saint-Denys Garneau, de Gabrielle Roy et de Robertson Davies. En correspondance croisée, on retrouve les écrivaines Carol Shields et Blanche Howard ou celle sur commande entre Louise Desjardins et Mona Latif-Ghattas. D’autres textes épistolaires ont vu le jour.
C’est surtout la publication de la correspondance croisée entre Geneviève Amyot et Jean Désy qui capte ici mon intérêt. Correspondance récente parue aux éditions du Noroît au printemps 2012, Que vous ai-je raconté? pénètre dans l’univers intime de deux écrivains entre 1990-2000. Quelque mille lettres furent échangées sur une dizaine d’années. Leur contenu place la création littéraire en tête de liste, suivie de près par les lectures, les voyages, les réflexions sur la vie, la mort, le rôle de parents. On y lit les doutes, les tourments, les espoirs. Parfois le ton monte mais l’amitié prévaut.
Que vous ai-je raconté? déclenche une mine de réflexions sur la démarche d’écriture, la naissance d’une œuvre littéraire. Le ton intime nous transporte dans la vie au quotidien de deux écrivains passionnés. On se croirait dans un roman, impatient d’en connaître la suite. Les deux épistoliers se nourrissent de leurs échanges. « J’adore les petites lettres candides. Il nous en manque tant » écrit Geneviève Amyot. Jean Désy répond : « Ce sont des écrivages avec des gens comme vous qui me tiennent le plus à cœur. » Ce dernier ajoute : « J’aime tellement vous écrire. J’aime tellement parler à quelqu’un. » Geneviève Amyot se désole de la rareté de communication par voie postale. « Grand, très grand merci de continuer cette correspondance, de m’adresser encore et encore de ces lettres sur le vif qui chaque fois me ravissent, et j’aime tant recevoir des lettres, et presque plus personne n’en écrit, je ne sais pas pourquoi, le monde est énervé, et, comme je ne comprends pas le sens de cette course, j’ai pris l’habitude de cette explication : les pitons, tout le mal dans la surabondance d’affaires à pitons… »
Lecteurs assidus autant que fervents épistoliers, Geneviève Amyot et Jean Désy ouvrent des fenêtres sur une cinquantaine d’écrivains du Québec et d’ailleurs. Geneviève Amyot fut influencée par de nombreux écrivains lus ou rencontrés. Des œuvres l’ont marquée. Que de voix soutiennent la nôtre. Nos mots s’imprègnent souvent des traces laissées par ceux que nous lisons. Geneviève Amyot sait en reconnaître les bienfaits. Jean Désy et Geneviève Amyot enrichissent à leur tour, à travers des bribes de vie si finement fignolées, le genre littéraire qu’est la correspondance d’écrivains.
La mort de Geneviève Amyot mit fin à dix années de fidèle communication par voie postale. On doit à Jean Désy de nous livrer ce trésor. Après la lecture de Que vous ai-je raconté? j’ai relu « Je vous écrirai encore demain » le chef d’œuvre poétique de Geneviève Amyot écrit sous forme épistolaire. Il s’adresse à chacun d’entre nous et empêche les petites et grandes morts de nos vies de disparaître tout à fait. Jean Désy est un écrivain voyageur. L’Esprit du Nord donne le ton de son avancée, de son cheminement dans le mystère des lieux nordiques et des êtres qui y habitent.
Nous aurions avantage à laisser nos mots reprendre la voie postale afin d’intensifier nos échanges entre amis. Par les lettres, l’amitié grandit. Elles entretiennent les liens, arrivent à dire ce que nous n’osons dire de vive voix et empêche des êtres de tomber dans l’oubli. Que vous ai-je raconté? est un émouvant témoignage d’amitié. La communication se transforme en communion privilégiée. Grand merci Jean Désy pour le cadeau inestimable de la correspondance croisée entre vous et Geneviève Amyot.