Lettre vagabonde – 13 juin 2016
Par les temps qui courent, le Grand Nord et l’autre juste en dessous sont convoités par des compagnies, des économistes et des politiciens. Leur engouement ressemble à celui des enfants convaincus que là-bas vit le Père Noël qui dispose d’une réserve de trésors inépuisables. Les trésors recherchés se cachent sous des milliers de kilomètres de forêts, sous des montagnes de roches ou des masses de glaces comme à l’intérieur des sables bitumineux. Le pétrole, l’or et les diamants s’extraient en creusant des cratères géants et laissant derrière des paysages lunaires.
L’exploitation des ressources de la planète a pris des proportions alarmantes et catastrophiques. Des machines monstres défrichent le nord, le décapitent, creusent ses entrailles et prennent, prennent et prennent encore jusqu’à épuisement de la planète même. Les habitants perdent leurs territoires et leur dignité. Les travailleurs en exil pour la plupart travaillent et vivent sous l’égide et les lois de la Compagnie.
Le dernier roman de Nancy Huston Le club des miracles relatifs se déroule au cœur d’un territoire soi-disant imaginaire exploité à outrance. L’auteure dénonce le pouvoir abusif et tentaculaire et la dégradation de l’environnement naturel. Forêts saccagées, lacs, rivières et mer contaminés, paysages dévastés à coups de machineries et de machinations pernicieuses, deviennent monnaie courante.
Suivons un personnage de Nancy Huston, Varian, un garçon surdoué, vulnérable et peu viril qui part travailler à Terrebrute comme infirmier. Le territoire est lacéré par l’extraction féroce de pétrole par des compagnies sans scrupules. Varian travaille avec Luka au centre de maintenance respiratoire sur le site pétrolier. Luka et sa sœur Leysa sont également écologistes. Pour raviver l’esprit autant que le corps, les trois travailleurs décident de partager leur lecture avec les malades. Ils forment Le club des miracles relatifs. La pensée des grands écrivains russes, tels Marina Tsvetaïeva, Dostoïevski, Tchekhov et Tolstoï, remplace la propagande, l’inertie, les jeux vidéo et autres divertissements auxquels sont soumis les cerveaux engourdis. Il n’en fallait pas plus pour que la Compagnie accuse Varian d’espionnage et de trahison. L’enfer qui a embrasé le territoire s’attaque à Varian sous forme d’emprisonnement et de torture. L’univers que peint Nancy Huston nous paraît inconcevable mais il existe déjà dit l’auteure.
Nancy Huston rejoint les écrivains dissidents qui dénoncent l’exploitation à outrance des régions du globe où l’on saccage la nature détruisant l’habitat et menaçant la survie des plantes et des animaux. Des populations entières subissent l’annihilation de leur saine existence. La terre n’est ni un grand magasin où nous pouvons piller impunément ni une boutique de souvenirs où tout se vend.
Des écrivains dissidents, à travers romans, essais et récits nous confrontent à une réalité dont on nous détourne trop souvent. Il en a coulé de l’encre depuis l’un des premiers grands pionniers de l’environnement, John Muir. Au XIXe siècle, il écrivait : « Personne, vu la rapidité avec laquelle notre époque avance, ne peut dire à quel point notre planète sera finalement soumise à la volonté de l’homme. » Le naturaliste Barry Lopez penche dans le même sens en affirmant que le pouvoir de l’homme à détruire la nature mène aussi à la destruction d’une existence adéquate pour l’être humain. Yann Martel accuse les grandes entreprises de viser l’accumulation des richesses et non la circulation des richesses.
Kathleen Winter dans Nord infini sillonne les mers du Nord à bord d’un bateau russe. Elle constate les effets néfastes des changements climatiques sur la population inuite, sur l’environnement et tous les êtres vivants de l’Arctique. Les industriels y convoitent les ressources prochainement accessibles grâce à la fonte des glaces. Dans son récit autobiographique, Sheila Watt-Cloutier lance un cri d’alarme. Avec The right to be cold, l’Inuite relate les bouleversements subis par son peuple en une seule génération, et la transformation du territoire, conséquences directes des politiques du gouvernement et des changements climatiques.
Ce ne sont pas les médias qui nous instruisent, ni les gouvernements qui nous informent et tout comme les compagnies, ils nous offrent leur part d’explications erronées. Ce sont des récits tels Le club des miracles relatifs, Nord infini et The right to be cold qui nous permettent de comprendre les enjeux d’une exploitation à outrance de la nature et de ses ressources. Les dissidents parmi les écrivains et les écologistes nous sont indispensables. Néanmoins si nous tenons à la survie d’une planète où il fait bon vivre, nous avons intérêt à nous inscrire au nombre des dissidents.
Mais à qui donc appartient la planète ? Comme disait Théodore Monod : « Nos politiques devraient davantage s’occuper du BNB (Bonheur national brut) plutôt que du PNB (Produit national brut). Ça sauverait peut-être du péril ceux qui ne sont pas encore nés. À François-René Chateaubriand le dernier mot : « Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe souillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète. »