Lettre vagabonde – 18 septembre 2015
Depuis cinq ans, une amie de France, Jocelyne Carmichaël, m’invitait au festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée. À la fin juillet, je me suis rendue à Sète afin d’assister à ce prestigieux festival. Chaque été, la ville est assaillie par la poésie. Des voix issues d’une trentaine de pays de la Méditerranée se rassemblent en ce lieu privilégié. À ces voix s’associent celles de la Méditerranée dans le monde, qui inclut le Québec, l’Argentine, la Belgique, Haïti et le Mexique. Le maire ouvre les portes de sa cité pour laisser entrer les poètes de toutes nationalités.
Une centaine de poètes élèveront leurs voix sur les places publiques, dans les rues, les parcs, les jardins et même sur l’eau. Plus de six cent cinquante rendez-vous gratuits étalés sur neuf jours attirent une foule impressionnante. En 2014, Sète accueillait cinquante-quatre mille spectateurs. Partout ça grouille de mots et de monde, de sens et de sensibilité.
Jamais je n’ai vécu une expérience littéraire aussi prenante. Souvent les lectures sont accompagnées de musique, d’entretiens ou de performances. Chaque poète lit dans sa langue. S’ensuit la traduction en français. La poésie s’étend aux quatre coins de la ville sur tous les tons. Comme spectatrice, j’ai eu le choix de m’installer dans un hamac, dans une chaise longue, sur un grand tapis rempli de coussins, dans une barque ou à une table en pleine rue où étaient servis apéritifs et repas. Des bateaux prenaient le large, chargés de poètes et de spectateurs. La ville était en effervescence. Tous les lieux de lecture regorgeaient de monde. Il manquait de place. Mon amie Jocelyne, lors de sa mise en lecture de Le jardin perdu d’Andrée Chedid, eut droit à plus de cent spectateurs. Claire Menguy l’accompagnait au violoncelle. Devant tant de choix, je remplissais mon horaire à ras bord. Heureusement que des guinguettes servaient les repas sur place. J’ai fréquenté la guinguette de Lucille, l’Haïtienne si accueillante, qui nous concoctait des menus créoles. L’Étoile d’Orient avec sa cuisine finement épicée a permis d’heureuses découvertes culinaires. Des groupes de chanteurs offraient une animation variée. J’ai apprécié particulièrement le duo Helma composé d’Hélène et de Maryse qui ont même chanté des chansons de Félix Leclerc.
Grâce à Jocelyne, j’ai fait la rencontre de poètes, de musiciens, de comédiens et d’éditeurs dont bon nombre étaient ses amis. Jocelyne baigne dans ce milieu et sa prière quotidienne consiste en la lecture et à la récitation de poésie. Louise Dupré représentait le Québec. La maison d’édition française Bruno Doucey, vient de rééditer son recueil de poésie, Plus haut que les flammes, dont elle a lu des extraits.
J’ai croisé de multiples cultures avec leurs croyances, leur unicité et leurs interrogations. Un seul territoire, le territoire intérieur animait les poètes. Chaque voix scandait son chant de justice, d’égalité, d’espérance et de liberté. Autant de visages du monde sensible. La poésie dilate l’espace autour de moi, contribue à mon exploration de l’humanité.
La poésie ouvre la voie à la compréhension profonde des êtres. C’est un haut lieu de résistance, le dernier refuge de l’homme libre écrivait André Suarès. Le poète brise les murs du silence, ouvre les chemins de l’imagination et de la connaissance. Le poète Yvon Le Men écrit : « De l’autre côté du fleuve / comme de l’autre côté de la mer / Il y a un pays où vivent / de l’autre côté de nos vies / des hommes qui nous ressemblent. »
Les Voix Vives de méditerranée en méditerranée a redoublé ma confiance en l’humanité. J’ai trouvé une résonnance familière dans les poèmes de la Jordanienne Maha Autoom, l’Espagnole Alicia Martinez, Adonis du Liban et Enan Burgos de Colombie. J’ai la conviction que la poésie accroît notre sensibilité à la beauté du monde et notre compréhension des êtres toute nationalité confondue.
Un audacieux projet que celui d’orchestrer un festival de poésie d’une telle ampleur. La participation d’une centaine de poètes, de comédiens, conteurs, chanteurs et musiciens exigent un maître d’œuvre hors de l’ordinaire. Grâce à Maïthé Vallès-Bled, directrice des Voix Vives, femme convaincue et déterminée, la poésie fait son chemin et nous offre de cheminer avec elle. « Quelle autre espace que celui de la poésie permet de réunir aujourd’hui tous les pays de la Méditerranée en proie à tous les déchirements? » conclurait Maïthé Vallès-Bled. Ouvrons donc un recueil de poésie, brisons le silence et laissons les mots nous imaginer tous les possibles. Les poètes ont besoin de nous. Nous ne pouvons nous passer d’eux.