Lettre vagabonde – 2 juin 2004
Salut Urgel,
Il est de ces écrivains qui nous saisissent, nous happent et nous renversent à l’intérieur du livre, nous prennent à témoin ou nous transforment en personnage. L’écrivain polonais Ryszard Kapuściński est de ceux-là. Il a été durant des années reporter et correspondant pour l’Agence de presse polonaise en Afrique. « Ebène » est un récit brûlant d’actualité. Il couvre l’histoire en survolant des dizaines de guerres, des révolutions et des coups d’états dans les pays d’Afrique. Mais là n’est pas le propos majeur de son œuvre. Si Kapuściński est venu me chercher, c’est que son livre témoigne de la vie des gens.
Ryszard Kapuściński s’est installé au quotidien chez des habitants des pays d’Afrique. Il a vécu dans leurs villes et leurs villages parmi eux. Il a fait de longs séjours dans les montagnes et les déserts. L’auteur s’est imprégné de toutes les facettes de leurs conditions de vie. Ce récit regorge de témoignages et de dialogues de la part d’individus rencontrés dans leur milieu.
Les médias nous montrent souvent une Afrique de dictateurs et leurs actes barbares. Ils brossent un tableau des victimes vivant dans la pauvreté la plus extrême. Quand le peuple crie famine, on leur envoie quelques grains pour subsister. Entre temps, les pays capitalistes continuent à s’approprier des parcelles des pays africains pour protéger les ressources naturelles dont ils veulent profiter. Quant à la véritable histoire de ces peuples, nous sommes dans l’ignorance quand ce n’est pas dans une complète indifférence.
Ryszard Kapuściński affirme : « « Ebène » n’est pas un livre sur l’Afrique, mais sur quelques hommes de là-bas, sur mes rencontres avec eux, sur le temps que nous avons passé ensemble. » Nous suivons les périples de Kapuściński quand il se retrouve le seul Blanc du village. Il sait que pour le Noir, il est le colon, le pillard, l’occupant. C’est en demeurant fidèle à lui-même qu’il arrivera à s’intégrer aux coutumes autant qu’au climat.
L’eau est l’ultime préoccupation de plusieurs pays d’Afrique. J’ai découvert que l’apparition du jerrican en plastique a apporté une véritable révolution. Il est si léger que l’enfant est dorénavant le porteur d’eau laissant à la mère plus de temps pour les tâches domestiques. Plus de la moitié de la population a moins de quinze ans. Une majorité d’adultes n’ont pas d’emploi. J’ai appris que chacun porte un rêve à sa mesure. Sais-tu ce que Ryszard Kapuściński s’est vu demander le plus souvent par les enfants de l’Ethiopie ? Un crayon. Ça veut tout dire.
Un récit touchant que « Ebène » de Ryszard Kapuściński. Il est temps de connaître et de comprendre nos semblables sur cette planète au lieu d’ignorer ou d’anéantir nos différences. Des écrivains comme Kapuściński laissent percer une lueur d’espoir.
Tu me diras que pour chaque geste humanitaire il y a mille actes de barbarie. Je te dirai que pour chaque coup porté contre l’humanité, il y a des gens qui se réveillent. Des pays comme les Etats-Unis ne cessent de se salir les mains et de s’en empiler sur la conscience. Le Canada en a à se reprocher aussi. D’autres les dénoncent. Les analphabètes des continents d’Afrique et d’Asie savent dorénavant lire entre les lignes mensongères de l’Amérique. Nous persistons à refuser de décoder un autre langage que le nôtre. Le livre de l’humanité n’a pas qu’une seule page ni qu’une seule histoire. Il se doit d’être le témoignage de tous les peuples.
Pour te donner un avant-goût de lecture, voici une observation de Kapuściński sur les gens du pays :
« Stupéfiant, la manière dont l’homme et l’environnement vivent en symbiose, formant un ensemble indissociable et harmonieux, s’identifient l’un à l’autre ! Incroyable, le degré d’intégration de chaque peuple à son paysage, à son climat ! C’est nous qui façonnons notre décor et c’est lui qui sculpte les traits de notre visage. »
Bonnes aventures africaines !
Alvina