Lettre vagabonde – 2 mai 2023

Crever les eaux pourrait bien passer pour le troisième volet d’un triptyque dont Miettes de moi et Le cri des glaciers auraient constitué les premiers tableaux. Miettes de moi c’est l’écrit du corps où m’est révélée la métamorphose à venir. « J’empile des petits papiers et Je récupère / sans cesse ». Miettes de moi m’apparaît comme une tentative de rupture du silence et de l’invisibilité. « Le cri des glaciers » surgit telle une attestation d’une présence entière, d’une parole en train de se libérer. C’est le cri du cœur enfin entendu. dans « la vallée mouvante / je deviens l’aube / une guérison épelle mon nom. »

Crever les eaux ramène le corps au cœur de l’écrit. C’est l’enfance retrouvée, réparée, celle de l’intuition, de l’imagination et de la créativité. « L’enfant géante / qui fendra le monde / d’un seul mot, les mots seraient-ils à la fois mes parents / mes enfants. » Ces vers s’apparentent à la signature d’un pacte avec l’écriture. Le  recueil réconcilie l’avant et l’après. Si la poète donne naissance à l’œuvre, l’œuvre, elle, accorde une renaissance à la poète. N’écrit-elle pas, « Je ne vois pas la différence / entre le sang et l’encre » et « je signe mon arrivée en lettres attachées ».

En parcourant le recueil, j’ai l’impression de retrouver une demeure familière, les pièces mieux éclairées, la voix plus audible. Le paysage intérieur prime sur le paysage environnant. Il plane une insondable tristesse au gré des poèmes comme si on ne sortait jamais indemne de ses malheurs. De petites morts côtoient des grands pans de vie. L’âme des mots semble avoir une parentèle avec l’âme du paysage. Le soleil n’est pas toujours à la portée du regard; il se cache parfois derrière la « lancinante répétition des pluies ». Une présence significative arrive en renfort. Anise Koltz, poète à l’influence prégnante, défie les codes et transgresse les interdits. Elle devient complice autant de la lectrice que de l’écrivaine. La voix d’Anise Koltz accompagne celle de Joanne. Elle lui servira de pierre de gué sur le chemin de tous les possibles.

Crever les eaux invente son propre chemin. L’emprunter c’est aller à la rencontre d’une parole porteuse, d’une éclaircie favorable. Si d’un chanteur, j’écoute une chanson en boucle, si d’un artiste peintre, je privilégie un tableau, il en est de même avec l’œuvre de Joanne Morency. J’accorde ma préférence à Miettes de moi qui constitue la pierre angulaire de sa poésie. Je retrouve le fragile et le durable, le familier et le profond. De ces racines, il rejaillira une transparence vive et une voix franche qui résonneront dans son œuvre. Lire sa poésie, c’est plonger dans les fragments d’existence sous toutes ses formes et arriver, peut-être, à se reconnaître enfin.