Lettre vagabonde – 5 mars 2008
Cher Urgel,
Crois-tu aux coïncidences ? La question posée à plusieurs personnes a donné tout un assortiment de réponses. Souvent on me répond que ce n’est que le hasard et que toute conclusion relève de l’absurde. D’autres y voient le signe de la Providence. Le superstitieux y voit le signe du destin. Le scientifique calcule les probabilités, l’étudie en laboratoire. Le pessimiste A. Billy explique que « Notre vie est faite de hasards aveugles et de coïncidences absurdes. » Je penche plutôt du côté d’André Breton qui nommait le hasard ou les coïncidences « de véritables fanaux dans la nuit des sens. »
Ma rencontre avec Paul Morin relève de la plus pure coïncidence. À l’automne dernier, je bouquinais chez Coiffard, une librairie de Nantes, un homme conversait avec une employée. Je l’entendis mentionner qu’il voyagerait en Gaspésie prochainement. Sans réfléchir mon amie et moi l’abordons et je l’invite à s’arrêter chez moi en lui remettant mes coordonnées. En sortant, il se retourne et dit : « Je suis écrivain. » Me voici intriguée au point de retourner le lendemain à la librairie. L’employée à qui cet homme s’adressait était en congé pour les trois prochains jours et je quittais Nantes le surlendemain.
Quelques semaines après mon retour chez moi, on frappe à la porte. C’est nul autre que l’homme de chez Coiffard, Paul Morin, accompagné de sa conjointe Marie-Claude. Je les invite à dîner et nous passons un agréable moment ensemble. Nous parlons de livres bien sûr. Je lui raconte ma découverte des Journaux d’Anaïs Nin dans une librairie de Nantes en 1974. Cette librairie tenait dans son sous-sol une sélection phénoménale de livres de poche. Une seule librairie à Nantes a déjà eu une section de livres de poche au sous-sol. Le propriétaire était Paul Morin, le même que j’ai rencontré à nouveau trente-trois ans plus tard. Si ce n’est pas une coïncidence ça!
Paul Morin est écrivain et photographe. Ses photographies captent la lumière que sa poésie et sa prose racontent. L’auteur m’a offert de ses œuvres. Maintenant lorsque je marche en forêt, je suis à l’affût de cette lumière inscrite entre les ombres, sur la neige et les arbres. La plume du photographe écrit que « La lumière ne porte pas en soi la séduction; ce sont les choses frappées par la lumière qui séduisent. » D’un client de la librairie Coiffard j’ai découvert un ancien libraire, un écrivain et le contact se maintient grâce à un échange épistolaire. Peut-être ne serais-je jamais retournée à Nantes si je n’avais pas rencontré Gina et Simone, deux sœurs fort sympathiques qui sont devenues mes amies après mon premier séjour à Nantes.
Je suis convaincue que la vie nous gratifie d’étonnantes rencontres par un concours de circonstances inexplicables. Tant d’incidents fortuits ont placé sur mon chemin des êtres extraordinaires. Ces événements que l’on ne peut pas prévoir, si l’on peut les saisir, s’occupent de donner un autre sens à la vie. Je crois que la méfiance et la timidité nous empêchent de profiter de ces occasions magiques. Il suffit d’une rencontre pour changer l’orientation d’une vie ou tout simplement pour dépoussiérer un vieux rêve. Anaïs Nin, dans son Journal, mentionne la force qui se dégage d’un premier contact. « Il se produit alors un traitement de choc, une personne, un livre, une chanson, et cela éveille et sauve de la mort. »
J’admire les gens qui osent prendre des risques. Leur vie est parsemée d’incertitudes mais aussi d’aventures. Ces gens sont porteurs de rêves. Je les retrouve dans les récits de voyage, les journaux intimes et les carnets. Je les rencontre aussi dans la vraie vie par un heureux concours de circonstances. Marguerite Yourcenar atteste que « Tout vient de plus loin et va plus loin que nous. » Hubert Reeves nous apprend dans Patience dans l’azur qu’il existe deux sortes de hasard, celui de notre quotidien et celui des atomes. Il affirme qu’aucune connaissance ne peut les éliminer. Les coïncidences sont de ces faits inexplicables mais qui nous assurent parfois un certain bonheur. Peut-être qu’une coïncidence existe parce que l’on s’y attend, même inconsciemment. Dans Le temps ce grand sculpteur, Marguerite Yourcenar cite Jeanne de Vietinghoff « Les objets de notre bonheur sont là depuis des jours, des années, des siècles peut-être ; ils attendent que la lumière se soit faite dans nos yeux pour les voir, et que la vigueur soit venue à notre bras pour les saisir. Ils attendent et s’étonnent d’être là si longtemps, inutiles. » Et si c’était cela une coïncidence, tout simplement une certitude que quelque chose peut nous arriver, quelque chose qui n’attendait que nous.
Amitiés,
Alvina