Lettre vagabonde – 24 décembre 2003
Cher Urgel,
As-tu lu les articles sur les « enfants de pub » dans le Devoir de samedi ? Le journaliste Alec Castonguay brosse un tableau réaliste de l’influence de la publicité sur les enfants. Ils sont devenus des cibles, des proies faciles à transformer en consommateurs fidèles et avides. La publicité envahit l’environnement de l’enfant, le définit même. La publicité décide souvent à la place des parents du contenu de l’assiette que le jeune a devant lui ainsi que des vêtements qu’il portera.
Des compagnies d’alimentation, de vêtements et de jouets adressent leur publicité directement aux enfants. Le résultat leur rapporte 600 milliards de dollars US sur le marché mondial. La publicité des entreprises alimentaires est directement responsable des problèmes d’obésité chez les jeunes dans des pays comme les États-Unis, l’Angleterre, la France et le Canada.
La télévision déverse en moyenne 20 000 annonces publicitaires annuellement. Vingt pour cent du temps que l’enfant passe devant le petit écran est consacré à la publicité. Sur mille heures de télévision, 200 heures de messages publicitaires. Comme la télévision, Internet devient le moyen idéal d’influencer les jeunes et de contrôler leur consommation de nourriture et leurs achats de vêtements et de jeux. La propagande des compagnies de publicité est devenue si forte et si puissante qu’elle surpasse l’influence que les parents exercent sur leurs enfants. Elle chamboule le système de valeurs. La propagande commerciale a la mainmise sur la manière de vivre des enfants.
Il existe un autre lieu de propagande, plus noble espérons-le, mais non moins présent dans la vie de l’enfant. C’est l’école. Le système d’éducation publique utilise des moyens puissants pour transformer chaque enseignant en porte-parole et exécuteur de sa propagande éducative. Le ministère de l’Éducation parle de passion comme s’il détenait le contrôle sur ces sentiments. Selon certains, chaque enseignant devrait s’engager dans sa profession avec la fougue et l’ambition d’un adepte de sport extrême. Le goût de l’excellence est l’objectif général primordial de l’école publique au Nouveau-Brunswick. L’excellence laisse un goût amer et indigeste. Toutefois c’est un objectif de propagande hautement efficace.
La propagande n’est pas nouvelle en éducation. Ce sont les moyens pour y arriver qui me déçoivent parce qu’ils contrôlent et assujettissent l’être humain. Sur papier, l’objectif fondamental du système d’éducation est d’amener chaque personne à être autonome et créatrice. Afin de réaliser ce rêve auprès de la population scolaire, il faudrait à priori permettre aux enseignants d’être autonomes et créatifs. Un système d’éducation démocratique se doit de laisser chaque individu développer son potentiel créatif. Que reste-t-il de toutes nos années à l’école Urgel ? Tu veux que je te dise. Il reste les expériences réelles dans des activités privilégiées.
Quand j’écoute des adultes raconter leur vie à l’école, leurs bons souvenirs et leurs joies d’apprendre, ça relève souvent d’expériences créatrices marquantes. Des anciens élèves se rappellent d’expériences mémorables dans les domaines suivants : le chant, la musique, le théâtre, la danse, la chorale, les spectacles amateur_, l’écriture et les concours d’art oratoire.
Pas plus tard que la semaine dernière, j’assistais au lancement du CD de la chanteuse Ginette Ahier au musée de Miguasha. Elle a remercié publiquement une enseignante présente qui l’avait influencée et profondément marquée par des activités de théâtre et d’écriture. Ginette se souvient de ses paroles encourageantes qui l’incitaient à exprimer sa créativité. Elle a même conservé ses rédactions de cette année-là. Si Ginette Ahier écrit et chante ses textes aujourd’hui, c’est que des enseignants et d’autres personnes l’ont influencée et encouragée le long du parcours. Il arrive fréquemment que ce soit les activités stimulant la créativité, extérieures au curriculum, qui répondent le mieux à une véritable démarche éducative. Ces activités se déroulent sous l’égide d’enseignants à qui on laisse l’initiative et le temps d’organiser de telles activités.
Maintenant, on parle de régime pédagogique. Et quel régime, criblé de contraintes et d’interdits. Un régime avec un seul menu pour toute la collectivité, sans à-côté, sans créativité, sans initiative, sans autonomie et sans liberté. C’est là où la propagande blesse, quand elle est appliquée à la lettre. La propagande incite à remplir des cruches vides à l’intérieur d’un horaire dont il ne faut surtout pas déroger. Ce qui n’est pas prescrit par le régime est interdit. Ne trouves-tu pas que ça ressemble drôlement à un régime totalitaire dans l’application de ses règles immuables Urgel ?
Je suggère aux personnes avides de liberté pour elles et leurs semblables de lire « Comenius ou l’art sacré de l’éducation » de Jean Bédard. Comenius, Jan Amos Komensky de son vrai nom est un philosophe du Moyen Âge. Il est le célèbre penseur « qui viendra asseoir la notion de liberté dans une vision de la démocratie dans l’éducation » nous révèle Jean Bédard. L’école de Comenius visait l’autonomie et l’indépendance et un contact réel avec le monde.
Il encourageait une approche pédagogique créatrice, surtout par le biais du théâtre. Voici les propos de ce célèbre philosophe qui j’espère en feront réfléchir plus d’un. « Tout acte créateur éloigne de l’uniformité. » Et d’affirmer Jean Bédard : « le monde de l’éducation actuel en est un d’assujettissement où l’intelligence est au service de l’industrie, de la force, de l’argent; on éduque pour former des travailleurs, c’est de la déséducation. » Comme l’écrivait Sandra Fillion dans le journal Le Mouton Noir : « Comenius ou l’art sacré de l’éducation », une œuvre à lire et à découvrir pour les éducateurs et les citoyens de la prochaine démocratie. »
En passant, la chorale Les Colibris de l’école Apollo XI n’existe plus. C’était une initiative au tremplin trop riche en culture et en bonheur pour les enfants du régime. Ça se rajoute aux symptômes d’anorexie culturelle et sociale dont souffre cet établissement depuis un certain temps.
Je souhaite à tous les enseignants et à tous les élèves de se laisser vivre sans régime durant le congé de Noël. Joyeux Noël à toi et à tous ceux que tu aimes.
une admiratrice de Comenius
Alvina
Chère Alvina,
Quelle belle réflexion sur les changements incessants en éducation, particulièrement au Nouveau-Brunswick alors que l’enseignement en français a eu ses hauts et ses bas jusqu’à la scission du ministère de l’éducation anglophone et francophone. De nouveaux courants pédagogiques, de nouvelles approches, un changement dans les technologies et la recherche font que des avancées en ce domaine pullulent ou polluent peut-être. Bref les penseurs pensent et tentent de créer, d’innover en lançant de nouvelles idées pour remplacer les anciennes le temps de mettre l’appareil en mouvement, mais le mouvement ne s’arrête pas là, il continue, idem pour la syndicalisation et les bénéfices sociaux… Quelle bonne idée, mon amie, d’avoir ressorti l’esprit de Comenius, Jan Amos Komenský (1592-1670):
https://bit.ly/3tlNSvy
On le surnomme le Gallilée de l’éducation. Trop bon à connaître! L’art, les sens, la nature, le questionnement!