C’est pareil partout. C’est partout pareil

Lettre vagabonde – 10 mars 2004

Salut Urgel,

Nous les Occidentaux, pouvons vivre pareil partout tant nous avons homogénéisé la diversité. Le cerveau ne distingue plus le vrai de l’artificiel ni l’authenticité de l’imitation. Il n’y a pas que nos aliments qui nous soient disponibles partout. Quelques pays étendent les tentacules de leur culture jusqu’à reléguer dans l’ombre la culture des autres. C’est au tour des coutumes et des loisirs régionaux de faire de grandes enjambées et d’atterrir en ces lieux des plus inusités.

J’ai vu une émission télévisée où les gens de Nanaimo sur l’Ile de Vancouver étaient en train de participer à des festivités dans l’ambiance de cabane à sucre, recrée au grand complet pour l’occasion. Le Québec, parachuté en pleine Colombie-Britannique avec ses milliers de litres d’eau d’érable transformée sur place en tire. Les fèves au lard ajoutaient leurs pétarades au folklore migratoire. On nous assura que la neige provenait d’une région voisine. Se délecter de tire déversée sur la neige, recueillie avec des spatules de bois, c’est retrouver la plus pure tradition québécoise. Il reste à démêler les territoires ainsi que l’illusion de la réalité. L’entre-deux est indigeste pour le corps, pour la culture et pour l’économie.

Que dire des Français qui importent en saison hivernale les courses de traîneaux à chien ? Je voyais filer à l’écran ces attelages qui recréaient dans les moindres détails ceux du Grand Nord. Je me serais cru au Nunavut si ce n’eût été de l’accent du reporter. Des chiens huskies en haute mission récréative, ça niche où en chaude saison ? Les pauvres.

Les motoneiges glissent sur des circuits tout neufs, sillonnent les sentiers enneigés de France. Les affaires vont de mieux en mieux pour l’industrie touristique française clamait le commentateur. Pourquoi traverser l’Atlantique d’est en ouest pour venir geler au Québec, au Nouveau-Brunswick et ailleurs au Canada quand on peut bénéficier d’un forfait garantissant un hiver doux et clément. D’aucuns peuvent s’approprier à coups d’argent et d’illusions les avantages d’une vie récréative sans en subir les inconvénients. Il ne manque plus que de retrouver un Inuit avec ses chiens sur les circuits de France.

Qui sait, Paris aura peut-être un jour son Carnaval de Québec. Le château de glace pourrait être érigé avec des bouteilles de vin de glace. Les monuments, avec du verre concassé. Quelques jurons et quelques ceintures fléchées avec ça et le tour est joué. On en redemande. Il fait plus chaud à Paris qu’à Québec. Très carnavalesque tout ça. Pourquoi pas se payer une petite visite à Walt Disney par la même occasion ? C’est juste à côté de Paris.

Comme le disait jadis Pierre Bourgault à peu près en ces mots : À quoi ça sert de voyager quand c’est pareil partout, quand il n’y a ni nouveau, ni dépaysement. Nous pouvons faire le tour du monde en modifiant à peine le contenu de nos assiettes surtout si nous aimons les frites et les hamburgers. On risque d’entendre partout la musique américaine. Et là, je ne parle pas des riches qui s’affaissent dans des fauteuils identiques aux leurs et dorment dans des lits similaires dans ces grandes chaînes d’hôtels internationales. À Tokyo, à New York ou à Rome, ils retrouvent du pareil au même. Pourquoi s’affubler de toutes ces chinoiseries quand on retrouve du chez-nous partout? Comme disait l’autre, la Chine, je l’ai vue au Epcot Center en Floride. C’est là que j’ai acheté ma table fleurie et laquée, directement d’un vrai vendeur chinois en plus. Quelle aubaine, que je lui répondis.

Nous autres, penserait-on faire un Saint-Tropez à Shédiac? Ça apporterait les gros sous d’une clientèle huppée. Une Américaine me disait déjà que la Gaspésie devrait vendre les roches de ses grèves aux touristes. L’économie s’en porterait mieux. En plus de se donner des tours de reins, on finirait par faire le tour de rien le long des côtes.

Te voilà maintenant installé officiellement à Kuujjuaq. Urgel, je te souhaite un dépaysement substantiel, de l’émerveillement à profusion et des découvertes continues. J’espère que les inukshuk seront les nouvelles balises qui te guideront vers de sublimes aventures.

vivement la différence,

Alvina

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