Le parfum de la tubéreuse, déstabilisant

Lettre vagabonde – 2 janvier 2016

Élise Turcotte possède le don de rendre nos certitudes inconfortables, de secouer la conscience assoupie. Le parfum de la tubéreuse est un roman qui provoque de ces remous. Il n’y a rien de limpide ni de reposant dans cette fable poétique, ce conte teinté de mythes. Élise Turcotte affirmait dans une entrevue : « Il faut arrêter de penser que les livres n’existent que pour plaire aux gens. » Le parfum de la tubéreuse y arrivera sans pour autant laisser le lecteur indemne et la pensée au repos. Le roman se veut le tissage d’une mosaïque composée de résistance, d’interrogations et de bouleversements.

Le récit ébranle la réalité et l’imaginaire en fusion. L’histoire se déroule autour de la narratrice Irène, de retour à l’enseignement après une longue maladie. Elle sera confrontée aux manifestations lors du Printemps érable, aux idées conservatrices et dominatrices de l’autorité. Irène entreprend d’enseigner les auteurs hors programme. Son livre fétiche : Dialogues en paradis de Can Xue. Irène résiste aux politiques absurdes et au conformisme autant des gouvernements et des institutions que de ses collègues au collège.

Le roman est une histoire d’amour, de résistance et d’émancipation imprégnée profondément de la beauté et du style particulier de l’écrivaine. Un vibrant éloge de la littérature, celle qui oriente hors des sentiers battus, hors les lois. Irène lutte pour transformer le collège en lieu de questionnements, de recherches et d’émancipation de la pensée. L’imagination doit accompagner, alimenter et supporter le désir de savoir. C’est tout un défi qu’affronte Élise Turcotte dans Le parfum de la tubéreuse : transformer un établissement qui adapte des cerveaux à la chaîne de production du marché en un lieu où les mots nous apprendront à habiter un monde en dehors de ses dogmes et de ses dictats. Un lieu où lire donne de l’expansion à son expérience personnelle, met en déroute nos certitudes et donne vie à une autre part de nous-même.

Dans son récent essai intitulé De la curiosité Alberto Manguel nous convie à suivre Dante en enfer, au purgatoire et enfin au paradis. Élise Turcotte, sillonne des sentiers similaires en séjournant au purgatoire avant d’atteindre à son tour le paradis. À la mort d’Irène, nous nous retrouvons au purgatoire où se poursuivra l’enseignement de la lecture et de l’écriture. À tous, la pensée comme guide, les mots comme bagage,. Les personnages de Dante comme ceux d’Élise cherchent à se libérer par les mots. Alberto Manguel adhère au défi que s’est fixé Élise Turcotte  quand il écrit : « Il faut que les enfants aient la possibilité d’imaginer sans contrainte avant de pouvoir réaliser quoique ce soit de réellement valable. »

Le parfum de la tubéreuse est un appel à la résistance, au refus de sombrer dans un ghetto de la pensée unique. C’est un cri de ralliement contre l’oppression de la pensée au sein d’une société. Et la pensée a besoin des mots pour s’exprimer. Élise Turcotte en confirme la force : « Et puis le mot tubéreuse a poussé dans la tête de tous mes élèves, et nous avons dérivé vers la forêt de l’amour, du danger et du rêve. » C’est aussi cela lire : partir à la dérive sur une mer d’incertitudes et tenter d’interpréter le monde à la lumière de nos découvertes. Tout comme le personnage d’Irène arrive à s’ancrer grâce au livre Dialogues en paradis de Can Xue, il est bon de jeter l’ancre du regard dans Le parfum de la tubéreuse.

Un livre est un objet assuré d’une longue vie, voire d’immortalité tant qu’il y aura un seul lecteur pour s’aventurer entre ses pages. Son âge ne modifie en rien sa substance ni la force de son contenu. Chaque livre en contient des centaines d’autres. Le parfum de la tubéreuse naquit d’une plongée dans Dialogues en paradis de Can Xue. Il possède des fragments de La Divine comédie de Dante, de 1984 de George Orwell et de combien d’autres qui ont éclairé l’écrivaine au cours de ses lectures. Il en est de  même pour chaque lecteur et lectrice. Que de provisions nous amassons en un seul livre, surtout, que de rencontres inoubliables et providentielles. La lecture, à mettre au menu du jour, absolument.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *