Lettre vagabonde – 23 avril 2008
Salut Urgel,
Il existe des petits villages qui ont su résister aux projets centralisateurs des gouvernements, qui ont échappé aux fusions et aux invasions barbares. Petite-Rivière-du-Loup est l’un de ces petits villages. Malgré son appartenance officielle à Pointe-à-la-Croix, il se tient à l’écart, caché dans une vallée, protégé par les montagnes. Même le soleil y pénètre avec parcimonie. S’il a perdu son école et son bureau de poste depuis belle lurette, il n’est pas diminué pour autant. Des générations se succèdent comme l’eau qui coule en sillonnant la petite rivière qu a donné au village son nom.
Je me suis installée à Petite-Rivière-du-Loup, il y a maintenant un quart de siècle. J’affectionnais déjà la maison aux bardeaux blancs lorsqu’elle fut mise en vente. L’intuition trompe rarement. Je me plais beaucoup dans ce petit village. J’apprécie la tranquillité et la nature sauvage. La forêt et les montagnes donnent accès à des sentiers qu’empruntent les ours, les chevreuils, les orignaux et les coyotes. Les lièvres attirent les renards. Les marmottes et les ratons laveurs logent à proximité des demeures. Grâce à la confiance et à la générosité des voisins, je peux circuler librement à pied dans toutes les directions. C’est cette liberté que je privilégie par-dessus tout.
Petite-Rivière-du-Loup a bien traversé son passé et regorge de promesses d’avenir. Des enfants poussent dans les maisons. Le printemps les fait sortir. Les parents derrière les poussettes, les plus grands à vélo et les adultes parcourent le chemin principal et la rue du Verger. Même si les gens ici ne se fréquentent pas plus qu’ailleurs, on se reconnaît et on se salue.
Le village possède un centre de ski et un modeste terrain de jeux pour les enfants. Les fruits du verger et leurs produits dérivés, ainsi que le miel et les oeufs frais attirent une clientèle variée chez Rodrigue et Julie. Quelques habitants taillent encore les érables et bouillent leur sirop. Les produits du terroir sont de grande qualité. Je ramasse à chaque printemps les têtes de violon en surabondance sur les berges de la Petite-Rivière-du-Loup. La nature est généreuse ici.
À Petite-Rivière-du-Loup, le temps file autrement. L’endroit attire les artistes : chanteurs, musiciens, peintres et sculpteurs. Un poète José Acquelin a raconté Petite-Rivière-du-Loup dans un poème. Bertrand Laverdure a eu l’idée d’inviter des poètes à écrire chacun sur un petit village du Québec. Sept petits livres ont ainsi vu le jour. Ils donnent à saisir le pouls, deviner l’âme et capter les vibrations autant dans les objets que dans les êtres. Chaque petit village possède sa dignité, son mystère. Parcourir à pied un petit village, c’est tourner avec lenteur les pages d’un carnet de voyage à venir. C’est découvrir le patrimoine.
Aucun pas de mon enfance n’avait foulé Petite-Rivière-du-Loup. Pourtant je la retrouve dans mes randonnées solitaires. Je suis les pistes des chevreuils, hume la gomme d’épinettes et remonte le sentier des souvenirs. La forêt sait rassembler tous mes âges. Au fond, chaque pas contient tous les autres. Il n’y a que le dernier qui m’ouvrira la terre.
Mon petit village vaut la peine d’être foulé de ton pas, scruté de ton regard. Tu n’y verras aucune maison abandonnée. Un rêveur attend sûrement quelque part que l’une d’entre elles se libère, comme on attend la terre promise. Si tu arrives au petit jour, tu pourras admirer la valse de la brume avec la montagne. À Petite-Rivière-du-Loup, chaque maison a vue sur une montagne et sur des rêves à venir.
Le pays recèle de ces petits villages de moins de 400 résidants. Les autoroutes les boudent, les gens pressés les ignorent. Prendre le chemin des petits villages, c’est prendre le chemin de la lenteur, des détours, là où il fait bon se perdre. Si tu fais la découverte d’un petit village, donne-moi de ses nouvelles.
Amitiés,
Alvina