Le voyage selon Serge Patrice Thibodeau

Lettre vagabonde – 22 juillet 2013

 

Une écriture mouvante, déferlante comme les vagues signe le dernier recueil de Serge Patrice Thibodeau, Sous la banquise. Les lieux, le mouvement et le chant des textes confirment la voie géographique qu’emprunte fréquemment le poète. On sent battre le pouls de l’écrivain voyageur.

Sous la banquise offre un chant au lyrisme moderne d’une voix assurée et authentique. Le recueil est porté par trois voix distinctes, mais pourtant liées par une recherche de justice, d’identité et de culture. La première partie porte la voix de la mer, la seconde se veut un chant de terre pour s’acheminer en dernier lieu vers un espace spirituel. La poésie en prose nous embarque sur une mer tourmentée, témoin de tant de durs labeurs, de naufrages et de noyades. Les textes renferment une discrète narration, une séquence semblable aux étapes d’une pérégrination. On sent la présence d’un lieu ou de l’esprit des lieux. « La voix perdue d’une corne de brume, le limon coincé dans l’œil d’un hélice et l’anse cachée entre les deux bras d’une rivière pour ce qu’il en reste », nous raconte le poème. Poète engagé, Serge Patrice Thibodeau prend position notamment ici concernant la chasse aux phoques. Il adresse quelques reproches à une certaine star : « une starlette défraîchie débarque, une Cruella en Harley-Davidson, flanquée d’une phalange de matadors en goguette, de chasseurs à courre, d’un gaveur d’oie, d’une escouade de Rangers du Massachussetts, de Moïse, de Saint Machin… »

Le style réintègre la poésie en vers où l’on reconnaît l’écrivain au langage propre à sa tribu, une langue qu’il tente de sauver. « Une langue éparée dans un goulet / En plein coma sous le varech. » Il termine cette partie sur une note d’espérance. « L’étrange et seul espoir / Que la mémoire nous revienne. » Une poésie à chanter telle une complainte.

Serge Patrice Thibodeau consacre les dernières pages au recueillement, à ses suppliques adressées au dieu de ses croyances, « parce qu’il me fallait conjurer l’insupportable détresse humaine » et il poursuit, « j’ai prié quand j’avais la foi et  j’ai prié quand je pensais que je n’avais plus la foi; »

La poésie de Serge Patrice Thibodeau en est une de voyage, une de souvenances et de résurgences aussi. Je me suis accordé quelques relectures avec l’impression d’accomplir la tâche gratifiante d’une archéologue qui, à chaque coup de piochon, découvre sous une nouvelle strate un sens encore enfoui du poème. Il vaut la peine de s’offrir le plaisir de relire la poésie de Serge Patrice Thibodeau comme on revisite un lieu aimé pour apprécier mieux ses richesses et pour saisir ce qui nous avait jusqu’alors échappé. Sous la banquise est un voyage au Labrador, au grand large sur ses banquises et un retour en Acadie, pays de la mémoire.

On voyage constamment dans l’œuvre de ce géopoète qui habite le double lieu de la géographie et de la poésie. Peu importe où nous mènent les chemins littéraires de Serge Patrice Thibodeau, on y parcourt toujours la mémoire des lieux.