Un lac quelque part au monde

Lettre vagabonde – 3 septembre 2008

 Cher Urgel,

Deux lacs m’attirent, m’étonnent et m’inspirent. Ils s’entourent de forêts, d’animaux, de plantes et d’air pur. Ils ne lèguent que parcimonieusement des bouts de leur territoire aux constructions. Des chalets s’avancent discrètement vers la berge. L’un de ces lacs, le lac de la Pointe caillouteuse  me rend si bien à moi-même que je prends rendez-vous avec lui chaque été.  L’autre, le lac à l’Oie je le découvre et le fréquente pour la première fois grâce à Monique Proulx et son roman Champagne.

Le lac attire par son grand espace. On s’y ébat comme des truites, il nous enveloppe comme une mère. Il reflète l’imaginaire. La forêt s’y baigne, les animaux le fréquentent. Je crois même que la montagne le courtise; par matin calme, elle  s’allonge dedans. Le lac de mes étés, (encore préservé contre son plus grand prédateur : l’homme.) est le lieu où le temps m’est accordé généreusement. Il contient le calme, la solitude et est exempt d’obligations. Fréquenter le lac, me plonge dans la liberté et me donne à lire l’œuvre inédite de la nature.

L’autre lac, le lac à l’Oie, Monique Proulx m’y convie. Elle raconte l’histoire d’un lac, d’une forêt, d’un pays qu’on explore ou qu’on exploite, que l’on s’arrache aussi. Pour Lila, Claire, Simon et quelques autres, le lac à l’Oie est un refuge, un endroit où vivre. L’auteure parle de l’enchantement qu’il suscite : « ils étaient tombés sur cette portion du lac à l’Oie, ce morceau de préhistoire préservé pour eux où la civilisation n’avait presque rien détruit de l’épiderme originel. » La plupart des personnages de Champagne cherchent à s’enraciner au cœur de la nature, côtoyer ses animaux sauvages et jouir de son univers végétal.

D’autres s’installent au lac à l’Oie avec l’œil rapace de l’envahisseur. Dangereux prédateurs que ces hommes qui chassent les bêtes et les habitants avec la même fougue. Ils cherchent à déloger pour s’accaparer des lieux et les rendre rentables. Le roman de Monique Proulx raconte la vie de tous ces gens traversés par des rêves, des souffrances et des préoccupations. La région du lac à l’Oie est un lieu sauvage où le lointain vous happe, le mystérieux aussi. L’appât du gain cherche à transformer ces lieux en investissements. Monique Proulx effleure le rôle de porte-parole pour la protection de la nature.

Mais  là où Monique Proulx touche, enchante et nous accroche, c’est dans sa façon de saisir la beauté du monde et de nous la faire  partager. On côtoie Lila, Claire, Simon et le petit Jérémie. On partage le territoire avec le chevreuil, l’orignal, le renard, les arbres et les fleurs sauvages. Le lac, la forêt et les êtres sont unis par un fil : l’amour. Un fil parfois ténu, qui s’effiloche, se casse quand il n’est pas cisaillé par une main violente.  Un fil qui se recoud, se raccorde à un autre fil pour continuer autrement une histoire d’amour.

L’encre de la poésie coule dans les veines de Monique Proulx. C’est par la poésie que l’on pénètre dans la forêt interdite. L’auteure a inscrit en exergue cette affirmation de Hölderlin : «  Il faut habiter poétiquement la terre. » Champagne le réussit : « Au-delà du chenal les étoiles s’entassaient par grappes dans le ruban de la Voie lactée. » Je m’abandonne en toute confiance pour la suivre en les méandres de la nature. Mon étonnement n’aura de cesse grâce à la forme poétique et au contenu poignant du magnifique roman de Monique Proulx. Un éloge de l’été et l’apogée de tous les étés au creux d’une chaude nuit de juillet ou d’un jour éclaté du mois d’août. Pénétrer dans les entrailles de Champagne,  c’est s’aventurer dans la caverne de nos origines d’où l’on ne peut sortir que plus fort et plus convaincu du lien indissociable que l’on entretient avec la terre. Je me suis attachée aux personnages, aux chats aussi, même aux fourmis. Un livre à lire en fin de l’été pour le recommencer de plus belle. Les émotions s’enracinent dans le roman comme les fleurs sauvages dans la terre libre. La beauté s’élève telle une montée de brume délogée par les premiers rayons du soleil. Champagne un roman qui fait son entrée dans le « nature writing » et à qui j’accorde la place de premier violon. J’emprunte les mots de Monique Proulx pour célébrer la richesse de ce roman. « Les trésors étaient partout, discrètement noyés dans  la verdure, ne demandant qu’un reste de jeunesse dans l’œil pour être débusqués : des fraises des champs, des fleurs de bois d’orignal, des racines de tiarelles qui remettent en train le foie le plus ravagé, un lièvre avec une moitié de pelage d’hiver cabriolant  vers le fourré… »

Mon lac d’été est devenu bien fragile. Déjà quelques prédateurs l’abîment. Une route élargie pour s’y rendre, des constructions imposantes près de la berge et des embarcations bruyantes. Un lampadaire jette une puissante lumière en plein lieu de nidification des huards et autres espèces de canards. Un courant menaçant s’insinue autour du lac. Il faut le protéger. Dans le lac de la Pointe caillouteuse sont enfuis mes secrets d’été. Ce sont des secrets dérivés de mes baignades, mes randonnées et mes lectures. Ce sont des secrets révélés au contact des fleurs sauvages, d’un coucher de soleil sur le lac, ou du silence prenant d’une nuit chaude et étoilée. Tous les lacs renferment leur part de mystère, accueillent nos secrets. Je t’invite à t’installer confortablement avec Champagne te laisser subjuguer par le lac à l’Oie, et qui sait, retrouver à ton tour tes plus beaux secrets de l’été.

Amitiés,

Alvina

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