À chacun son pèlerinage

Lettre vagabonde – 14 mars 2007

Cher Urgel,

Les pèlerinages ont fasciné et rassemblé les humains au cours des siècles. Selon la tradition, un pèlerinage a un motif religieux et rend hommage à un lieu saint : les chrétiens à Rome, les musulmans à La Mecque. D’autres genres de pèlerinages ont pris la relève. Saint-Jacques de Compostelle continue à être populaire mais pour d’autres raisons. Des gens y sont allés, d’autres rêvent d’entreprendre le périple. Ils nous racontent expériences ou rêves. Ce sont des adeptes des rencontres et des longues randonnées

Si de nouveaux pèlerinages voient le jour, ils deviennent de plus en plus personnels. Ils ont perdu leur connotation religieuse. En d’autres mots, à chacun son pèlerinage. Le voyageur cherche à rendre hommage à un lieu qu’aurait fréquenté une personne qu’il vénère.

Deux personnes suscitent chez moi le besoin de parcourir les lieux qui les ont vu grandir et qu’elles ont fréquentés au cours de leur vie. La première continue d’attirer une foule innombrable de pèlerins. Vincent Van Gogh attire des foules en Hollande et en France. Dès ma première rencontre avec ses œuvres originales à l’Orangeraie à Paris, j’ai éprouvé le besoin d’explorer à fond le sillage de cet homme célèbre. Il avait réussi à remuer quelque chose qui ne cesserait plus de m’émouvoir.

J’ai entrepris le pèlerinage Vincent Van Gogh. Il s’est déroulé sur plusieurs voyages. Si Arles et Paris m’ont déçue par l’absence de traces tangibles, il en fut autrement à Saint-Rémy de Provence. J’avais l’impression de relire des lettres de Vincent à son frère Théo. Des circuits à pied nous conduisent devant les paysages qu’il a peints. L’asile de Saint-Rémy existe encore. Mais c’est à Auvers-sur-Oise que j’ai retrouvé Vincent Van Gogh tel en ses lettres et en ses tableaux. De partout surgissent l’inspiration du peintre et la vie mouvementée de l’homme. J’ai même dormi sous un toit figurant sur un tableau de l’artiste. Au cimetière une modeste pierre tombale marque la fin du parcours.

Le pèlerinage Vincent Van Gogh est bien raconté dans un très beau volume illustré aux éditions du Chêne. Les Chemins de Van Gogh. Sa correspondance complète est publiée en trois volumes chez Gallimard. Ma plus récente découverte je la dois aux éditions Textuel. Un livre est consacré aux fac-similés des lettres illustrées de Vincent; un autre en contient la copie imprimée. Un atout important, c’est le troisième volume : Transcriptions et éclairages biographiques. Une mine de renseignements. Je n’aurai pas assez de toute une vie pour faire le tour de Vincent Van Gogh.

Le poète Zéno Bianu a peut-être le mieux saisi notre attirance à suivre les traces de Vincent en écrivant : « Comme si le vrai chemin était toujours au bord de l’abîme.» Nous admirons les personnes qui dépassent leurs limites au risque de leur vie. Quand le travail a donné des chefs d’œuvres comme chez Van Gogh, la vénération se porte dans l’âme. Vincent lui-même écrivait à Théo : « Eh bien, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié… » René Char termine ainsi la dernière page de Les voisinages de Van Gogh : « Je sus, en regardant ses dessins, qu’il avait jusque-là comme travaillé pour nous seuls. »

« Il me semble toujours être un voyageur, qui va quelque part et a une destination » écrivait Vincent à Théo.

Vincent Van Gogh vaut bien un pèlerinage. J’ai déjà entamé le prochain qui me mènera aux confins du Manitoba sur les traces de Gabrielle Roy. Au fond, un pèlerinage, c’est peut-être chercher en d’autres lieux de quoi se retrouver. Le défi, c’est de s’y reconnaître ou tout simplement de redevenir soi-même.

En toute amitié

Alvina

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