Un festival qui marche bien

Lettre vagabonde – 13 septembre 2006

 

Cher Urgel,

Serais-tu prêt à te taper seize cents kilomètres aller-retour en autobus ou en voiture pour entreprendre une journée de marche en Gaspésie ? De valeureux randonneurs sont partis d’aussi loin pour se joindre aux autres en fin de semaine dernière. Le Festival de la marche avait lieu cette année à Carleton-Maria en la Baie-des-Chaleurs, au cœur de la Gaspésie. Parrainé par la Fédération québécoise de la marche ainsi que les municipalités de Carleton et Maria, l’activité annuelle a attiré cent soixante-quinze participants.

De gros nuages s’étiraient au-dessus de la Baie-des-Chaleurs dès le petit jour tel un gigantesque chapiteau rassemblant sous son toit les montagnes et la mer. Fronts plissés, cous tirés vers l’arrière et grands yeux scrutateurs pointaient vers la voûte grisâtre et menaçante. Le soleil ne s’était point inscrit à l’événement on dirait. Cinq autobus scolaires attendaient sur place pour conduire les marcheurs au départ des sentiers. Nous avions à choisir entre quatre trajets. De la piste L’air salin longeant treize kilomètres de grève entre Maria et Carleton au grand tour de 18 kilomètres, il y avait des parcours intermédiaires. L’inscription fut suivie de mots de bienvenue où l’on eut droit à la cérémonie de l’eau. De l’eau provenant de Montmagny, lieu du festival de la marche 2005 fut versée sur le lieu du départ. C’est une cérémonie annuelle.

Dès le départ des autobus, il se mit doucement à pleuviner, gouttelettes hésitantes à taquiner le pare-brise. Histoire de rattraper les pas perdus de l’été, j’ai choisi le grand tour de dix-huit kilomètres, le circuit reliant Maria à Carleton. Cinquante-cinq marcheurs descendirent au stationnement du Grand Sault, le début du périple. Un feu pétillant semblait ignorer les gouttes de pluie. Les guides étaient des étudiants en loisirs du Cégep de Rivière-du-Loup, bien disposés à donner le meilleur d’eux-mêmes.

De bon pied et de bonne humeur, nous voilà partis à la queue leu leu. Les plus téméraires ne tardent pas à prendre les devants. Aucun marcheur contemplatif dans cette catégorie-là. Un bout du Grand Sault nous conduit au Chikanki, sentier escarpé. Plus on monte, plus la pluie descend pour se transformer en véritable avalasse comme dirait les Acadiens de la Louisiane. Chapeaux, imperméables ne résistent pas à cette décharge qui nous bombarde sans pitié. La transpiration de la montée est littéralement lavée par le déluge. Les lunettes deviennent des cercles de brume et les bottes des gourdes.

Vers midi, nous rejoignons les premiers arrivés à l’intérieur de l’oratoire Saint-Joseph sur le mont du même nom. Nous avalons notre collation en vitesse car l’édifice n’est pas chauffé autrement que par quelques lampions aux flammes vacillantes. Nous sommes pressés de repartir souhaitant nous réchauffer avec la marche. Graduellement la chaufferette sanguine repart et seules les mains refusent le combustible.

Après plus de six heures de montées et de descentes sur des pistes rendues glissantes par la pluie torrentielle, nous arrivons à destination. L’attente de vingt minutes pour l’autobus nous a transformés en claqueurs de dents et kangourous nerveux faisant du surplace. Une bien belle randonnée tout de même, une randonnée de groupe.

Le mauvais temps a empêché les marcheurs de s’arrêter aux belvédères le long du parcours afin de contempler la vue, belle sous toute condition. Malgré tout nous nous sommes arrêtés à quelques reprises pour admirer les fleurs sauvages et goûter aux petits fruits blancs rattachés au thé des bois.

En Gaspésie, nous sommes choyés en sentiers pédestres de toutes sortes. Carleton-Maria possède un réseau de trente kilomètres de sentiers. Le Parc national de la Gaspésie offre cent trente kilomètres de sentiers en montagnes. Le sentier international des Appalaches traverse la Gaspésie de Gaspé à Matapédia sur une distance de six cent cinquante kilomètres. Ce tronçon du SIA rejoint celui du Nouveau-Brunswick et continue jusqu’en Géorgie. Les mordus de randonnées trouveront chez nous leur paradis.

J’ai déjà tant vanté la marche que je me retiens un peu. Il y a marcheur et marcheur. Je préfère la compagnie de certains types de randonneurs à d’autres. Je tente d’éviter les randonneurs sportifs qui, chronomètre en main, ne partent du point A que pour atteindre au plus vite le point B dans les plus brefs délais. Les grands contemplatifs je les admire et me plais en leur compagnie. Mais je préfère fréquenter les randonneurs que j’appelle les sportifs contemplatifs. Avec eux l’émerveillement et l’effort physique font partie du trajet. La randonnée sportive contemplative sollicite le cœur, les poumons et le corps en entier tout en remplissant l’âme d’une sauvage beauté inaccessible en dehors des sentiers pédestres.

La Gaspésie regorge de sentiers pédestres. L’hiver n’est pas en reste avec les sentiers de raquettes et de ski de fond. Ici toutes les saisons sont des saisons de randonnées. J’ai la chance d’être membre du club de marche « Les Fourmis dans les jambes ». Notre chef, Jacques Boucher, mieux connu sous le nom de Grand Boubou est un randonneur sportif contemplatif. C’est mon préféré. Avec lui on marche pour la forme et l’émerveillement, les pieds bien ancrés au sol et la tête branchée aux cinq sens et par l’âme portée. Peu importe le temps, le randonneur renifle toujours l’odeur de l’aventure dans l’air. Et comme l’affirme David LeBreton : « Dans la trame du chemin, il faut essayer de trouver le fil de l’existence. »

En toute amitié

Alvina

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