L’enfer en la demeure

Lettre vagabonde – 16 décembre 2017

Dès les premières pages, le dernier roman de Jocelyne Mallet-Parent nous catapulte en pleine tragédie infernale. Basculer dans l’enfer, un titre fort approprié puisque les personnages basculent irrémédiablement dans l’horreur sans aucun signe préliminaire.

C’est l’histoire de trois adolescents qui se laissent happés par des motifs obscurs dans une guerre brutale. Assoiffés de justice, abreuvés de révolte et d’obligations, ils sont entraînés par des fanatiques invisibles à devenir leurs semblables. C’est aussi l’histoire de trois femmes en manque de moyens devant les conduites circonspects de leurs enfants. On ne saura jamais en définitive ce qui a poussé Élise et Tariq à devenir terroristes. Jamil, lui, y sera pour ainsi dire conduit de force.

Le grand mérite du roman, c’est d’être construit sur une trame qui s’éloigne de l’analyse et de la justification. Les sentiments supplantent le rationnel. Par l’entremise des mères, le lecteur ressent et vit l’ampleur du drame. La culpabilité, le besoin de comprendre et l’amour inconditionnel poussent les mères à protéger et à sauver leurs enfants contre une puissance innommable, contre les erreurs funestes du destin. L’autorité d’un père n’y peut rien, les traditions et ses valeurs non plus.

Le personnage de Fatima, une femme de cœur, nous met sur la piste avec ses pressentiments légitimes et ses accablantes découvertes. « Fatima pose aussitôt sa main sur sa bouche, retient un cri qui vient mourir au fond de sa gorge. Un frisson glacial lui parcourt le corps tout entier, l’ensevelit sous une avalanche d’appréhensions. » Ariane, femme de tête, hantée par de sordides événements antérieurs, confronte sa fille et lui tient tête. « Dis-moi donc? Tu aurais voulu naître ailleurs, en Inde peut-être? Là où les vaches sont sacrées, mais où une femme est violée toutes les vingt minutes? » Oleya, elle, se voit réduite, conséquence d’une violence inouïe, à l’incapacité d’appeler au secours ou de porter secours à qui que ce soit.

Jocelyne Mallet-Parent éprouve un grand respect pour ses personnages. Son Tariq poseur de bombes est le même Tariq qui se désole de retrouver une mère et ses deux enfants parmi les probables victimes. Jamil cherche à sauver une vie et chacun cherche sa raison d’être. Que peuvent les parents contre des étrangers invisibles qui s’infiltrent derrière les portes closes des chambres de leurs enfants? Que peuvent-ils contre un endoctrinement sournois qui s’insinue par toutes les fibres sensibles de l’adolescence pour contrôler leurs cerveaux?

Basculer dans l’enfer, nous captive par sa phrase qui coule sur des mots chocs, l’action rapide, le suspense durable. L’auteure révèle son véritable talent de l’enquête et de la quête. Les dialogues bien campés, les échanges verbaux en coups de poing favorisent le suspense. L’auteure donne l’impression de s’éclipser et d’accorder à ses personnages cette liberté de penser, garantie d’un roman réussi. Le jugement, absent. De procès, nenni. Tout nous arrive, imprévisible et percutant. Un roman à lire sans le déposer comme pour l’enquêteur à la poursuite du coupable. Basculer dans l’enfer ne vous laissera aucun répit.

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