Lettre vagabonde – 6 septembre 2006
Cher Urgel,
Dès que j’ai mis les pieds dans les vastes pièces de l’exposition au Musée des beaux-arts du Canada, l’espace s’est transformé au bout de mon regard. La côte ouest de la Colombie-Britannique déversait sa forêt et ses villages autochtones sur la capitale nationale. L’œuvre artistique d’Emily Carr donne à ressentir plutôt qu’à voir. C’est de l’énergie pure qu’elle transmet en forme et en couleur. Traverser l’ensemble de son œuvre c’est un parcours initiatique en pleine nature et imprégnée de spiritualité. Emily Carr est l’artiste peintre qui a su capter l’âme de l’arbre géant en transmutation en Colombie-Britannique.
Il n’est pas étonnant que ses toiles représentant les mâts totémiques nous révèlent la vie culturelle et spirituelle d’un peuple. On a dit d’Emily Carr qu’elle était l’instigatrice du tourisme culturel grâce à ses tableaux représentant les Premières nations de la côte ouest, leurs villages et leurs traditions.
On ne peut réduire l’œuvre de Carr à la seule représentation d’un patrimoine que les Canadiens ont méprisé et détruit. Traverser l’ensemble de son œuvre, c’est pénétrer dans une nature sauvage et symbolique, celle qui nous révèle à nous-mêmes. La présence de mouvement, les tourbillons, ses ondulations dans toutes les directions, donne à l’arbre son statut de force vive. Il possède le pouvoir de lier la terre et le ciel, de les traverser comme si ses branches étaient des ailes et ses racines des marteaux-pilons.
J’aime la force de caractère, la sensibilité et l’originalité de l’œuvre d’Emily Carr. Elle me rappelle Van Gogh par son audace dans la forme et l’intensité des émotions. Elle a interprété la réalité et lui a insufflé sa propre vision. Tout comme Vincent, Emily Carr écrivait. J’emprunte ses mots qui expriment bien sa perception de l’énergie dans la nature : « La vie anime l’espace. Tout est vivant. L’air est vivant. Le silence est rempli de sons. Le vert est plein de couleurs. L’ombre et la lumière se poursuivent. »
Ça valait la peine de faire le voyage jusqu’à Ottawa pour voir l’exposition intitulée « Emily Carr, nouvelles perspectives sur une légende canadienne. » Voir autant de tableaux en une seule visite a de quoi transformer et toucher une personne comme moi qui vibrait déjà devant un seul arbre peint par elle. Je retrouve l’œuvre d’Emily Carr dans la nature aux prises avec les éléments. Marcher sous la pluie en pleine forêt, pénétrer dans des sous-bois enneigés, atteindre des sommets perdus dans les nuages me permet de rejoindre l’esprit des lieux si cher à Emily Carr.
Au fond, je crois Urgel qu’on se laisse le mieux atteindre par les créateurs authentiques, ceux qui sont au plus vrai dans l’expression de leur art. Il est de ces êtres qui ne cherchent pas à vendre, surtout pas à nous acheter mais qui tentent par leur art d’aller au bout d’eux-mêmes. Ceux-là ne peuvent que nous influencer dans les plus petites choses. C’est dans ce sens-là qu’Emily Carr fait une différence.
Tu as manqué l’exposition d’Emily Carr au Musée des beaux-arts à Ottawa? Ne t’en fais pas, tu peux te reprendre. Elle sera à Vancouver d’octobre 2006 à janvier 2007, ensuite à Toronto pour revenir à Montréal du 21 juin au 23 septembre 2007.
En toute amitié
Alvina