Yann Martel et le culte de l’espérance

Lettre vagabonde – 11 avril 2016

Yann Martel nous convie à suivre ses personnages excentriques dans une aventure inouïe. Par sa fiction teintée de clairvoyance et de perspicacité, il nous mène du côté du questionnement et de l’espérance. Ses personnages ont rendez-vous avec la vie et avec la mort. Ils nous entraînent dans une quête obstinée pour rallier les deux. Les Hautes Montagnes du Portugal est à la fois un roman d’amour, de foi et de confiance inconditionnelle.

Trois histoires se découpent puis se fusionnent à coups d’intrigues, de découvertes et de rebondissements. Le lecteur explore « l’odeur » du temps, les formes de l’espace et de la complexité de l’être humain. Tomás, Eusebio et Peter vivent respectivement au début, à la moitié et à la fin du XXe siècle. L’histoire de Tomás s’intitule « Sans-abri », celle d’Eusebio « Sur le chemin de la maison » et celle de Peter, « La maison ». Trois passages obligés pour atteindre toute destination ? Les récits s’imbriquent les uns dans les autres telles des poupées russes. L’expression récurrente « chez moi » est chargée de sens métaphysique.

Tomás entreprend un long voyage en voiture qui lui servira aussi d’abri, un abri qui se démantibulera en cours de route. Archiviste au Musée de Lisbonne, Tomás découvre dans un journal du XVe siècle, ayant appartenu à un missionnaire, l’esquisse d’une œuvre d’art. Il part à sa recherche dans Les Hautes Montagnes du Portugal. Il aboutira à une découverte renversante qui lui fera conclure, « Nous sommes tous des animaux apparus par pur hasard… nous sommes des singes qui se sont élevés et non pas des anges déchus.

Eusebio le pathologiste couve sa peine, suite à la mort de sa femme, en se jetant corps et âme dans son travail : dissection de cadavres. Il en conclut « que les corps se transforme en une maison habitée par les personnages, qui tous nient avoir quoi que ce soit à voir avec la mort, mais voilà qu’on trouve des indices dans chacune des pièces. » Eusebio tente de réconcilier foi et raison. Grand lecteur de romans d’Agatha Christie, il cherche à élucider nos énigmes. « Il faut faire la même chose de la mort dans nos vies : la résoudre, lui donner un sens, la mettre en contexte, aussi difficile que cela puisse être. »

Peter, le sénateur canadien, quitte Ottawa pour se réfugier dans Les Hautes Montagnes du Portugal. Par pur hasard, il se retrouvera à habiter la maison de ses ancêtres. Il s’installe avec Odo un grand singe acheté aux États-Unis lors de son exil. Peter consacre sa vie à la lecture, à la marche en pleine nature et aux rencontres avec les habitants du village. Odo, son fidèle compagnon, toujours à ses côtés.

Les trois hommes, suite à la perte d’êtres chers, dévient le parcours de leur vie. Ce sont leurs périples semés de rencontres et de mystères qui donnent le ton à ce roman plein d’imprévus, tout en paraboles et en profondeur. L’imagination et la réalité interagissent en une complicité pour nous entraîner dans une histoire aussi touchante que L’histoire de Pi et Béatrice et Virgile. » Tomás, Eusebio et Peter, trois hommes en quête de quelque chose qui ne meurt pas.

Les Hautes Montagnes du Portugal est un roman imprégné d’une atmosphère de coopération et de partage, loin de l’esprit compétitif prôné par la société. Yann Martel nous propose une philosophie souple du quotidien sous le couvert d’une histoire inouïe. Les propos de Gabrielle Roy reflètent à merveille l’intention du romancier. « Est créateur sans doute tout être qui aide, selon ses moyens, à laisser le visage de la terre un peu plus agréable à regarder à cause de lui. »

Les Hautes Montagnes du Portugal nous réconcilie avec la vie et son aboutissement. Ce qui compose notre vécu composera aussi notre mort selon Eusebio. Nous sommes des êtres de fiction avant tout. Au cours de l’existence, l’imagination nous rend généreux et plus compréhensif envers nos semblables. Elle nous offre quelque chose qui s’apparente à la continuité, « à la foi qui ne vieillit pas. » Grâce à l’imagination, la littérature nous aide à assumer le réel. Il a bien raison Yann Martel. « Si l’on meurt sans jamais évoqué un dieu, n’importe quel dieu, symbolisé au-dessus d’un autel ou exprimé par une œuvre d’art, alors vous risquez de perdre l’âme que vous avez reçue. » La grande littérature, celle de la trempe de Yann Martel, nous engage sur une voie d’espérance.

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