Sapiens, que voulons-nous devenir?

Lettre vagabonde – 9 mars 2016

Il est de ces livres qui provoquent des interrogations cruciales sur l’avenir de l’humanité. Ils englobent les aspects fondamentaux de la vie à tous les temps et à tous les niveaux. Ils bouleversent nos croyances et démolissent les certitudes. Sapiens Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari est de cette trempe. Ce brillant essai vient corroborer les recherches et ajouter sa lumière aux œuvres de Jean Claude Ameisen, Wade Davis, Daniel Cohen et David Le Breton

Jean Claude Ameisen m’a ouvert grande la porte des connaissances menant à la naissance et à la transformation des êtres vivants sur la planète. Yuval Noah Harari m’entraîne à l’intérieur où se réunissent les révolutions cognitive, agricole et scientifique afin de mieux cerner ce que nous sommes devenus et ce que nous risquons de devenir nous les Sapiens. Tout un choc de réaliser comment nous avons réussi à dominer et à transformer la planète.

Sapiens Une brève histoire de l’humanité s’avère un essai majeur qui raconte comment les trois révolutions ont affecté les êtres humains et les organismes qui les accompagnent. Une première révélation incontestable de Yuval Noah Harari « Homo sapiens appartient aussi à une famille (comme toutes les espèces animales.) Un fait banal, qui a été l’un des secrets les mieux gardés de l’histoire. » « Il y a six millions d’années, une même femelle eut deux filles : l’une qui est l’ancêtre de tous les chimpanzés ; l’autre qui est notre grand-mère. » L’essai de Yuval Noah Harari est audacieux, provocateur et passionnant. Sa traduction en trente langues ne m’étonne pas. Dans un langage limpide et précis, l’auteur nous projette sur une trajectoire de millions d’années. Il nous bouscule dans le passé et nous catapulte dans l’avenir. Professeur d’histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem, Yuval Noah Harari, à travers l’Histoire et la Science remet en cause « nos pensées, nos actes, notre héritage… et notre futur. »

Le langage, pilier de la révolution cognitive ne nous distingue aucunement des autres espèces animales car chacune possède son propre mode de communication. Ce qui nous distingue, c’est l’usage que nous en faisons. Nous l’utilisons pour bavarder et parler de choses qui n’existent pas. Notre imagination a inventé des dieux, des lois, des mythes. Nous transmettons de l’information sur eux comme s’ils étaient réels. « Cette faculté de parler de fiction est le trait le plus singulier du langage du Sapiens » assure Yuval Noah Harari. Grâce aux réalités imaginaires, aux fictions qui nous lient, nous sommes devenus la plus puissante de toutes les espèces vivantes. Nous voilà les maîtres absolus de la création.

La révolution agricole amena le sédentarisme, la dépendance et la perte de connaissances et de dextérité du corps. L’Homo sapiens perdit la maîtrise du monde environnant, de son corps et de ses sens. La société agricole est à la merci des catastrophes naturelles, des maladies infectieuses et des profiteurs redoutables que sont les souverains et les élites. Ces derniers prennent le contrôle des populations concentrées dans les villages et les villes très peuplés. Yuval Noah Harari affirme que « la Révolution agricole fut la plus grande escroquerie de l’histoire. » Elle devint asservie à la pomme de terre, au blé et au riz. Notre mode de vie se transforma entièrement. Les animaux furent réduits à l’esclavage et les gens forcés de se conformer à l’ordre imaginaire.

La révolution industrielle amena le capitalisme, l’argent et le consumérisme. Ces bouleversements entraîneront l’homme à plus de contrôle et à plus de violence réduisant la femme à la soumission à coups de mythes et de fictions. Harari dit que la plus grande révolution pour améliorer la vie humaine fut la révolution féministe qui nous a débarrassés de bien des tabous et mythes.

La révolution scientifique institua à son tour une autre forme de pouvoir, le pouvoir sur la durée et la mutation de la vie des êtres vivants. Les laboratoires financés par les armées, les multinationales et les gouvernements débordent de recherches de plus en plus sophistiquées. Des modifications génétiques mettent en doute notre existence en tant qu’Homo Sapiens. Yuval Noah Harari écrit : « Le Human Brain Project lancé en 2005 espère créer un cerveau humain complet dans un ordinateur, avec des circuits électroniques imités des réseaux neuronaux du cerveau.» Il ajoute : « Nos ordinateurs ont du mal à comprendre comment Homo sapiens parle, sent et rêve. Aussi apprenons-nous à Homo sapiens à parler, sentir et rêver dans le langage des chiffres, que comprend l’ordinateur. » Grâce aux modifications génétiques, les technologies futures réussiront à changer l’Homo sapiens lui-même au niveau de nos émotions et de nos désirs. Nous sommes déjà des « cyborgs », des êtres qui mêlent des parties organiques et inorganiques. On pense aux implants cochléaires, aux genoux artificiels, aux bras bioniques… On pense aux sportifs sous stéroïdes, aux femmes liftées et au clonage de milliardaires texans également. La plupart des gens préfèrent ne pas penser à la transformation du sapiens en une espèce différente. On explore de plus en plus en laboratoire « le corps augmenté » « le développement humain artificiel » et « les puces au cerveau ».

Yuval Noah Harari reconnaît les progrès de la science et ne met aucunement en doute les bienfaits dont profitent les êtres humains. Mais comme David Le Breton, il s’inquiète de l’humanisation de la machine et de la mécanisation de l’humain. « Dans un monde où l’insignifiance de l’homme ne cesse de croître, la dignité et l’importance des machines prend une dimension grandissante. » écrit David Le Breton dans L’adieu au corps. Il conclut « Le monde lui-même est devenu un univers de science-fiction. Yuval Noah Harari condamne la cruauté odieuse envers les animaux dans les élevages industriels et les abattoirs. Il nous exhorte à envisager notre avenir. Il parle de bonheur, de coopération et de relations humaines. Ce grand chercheur nous confronte à une question dominante : « Que voulez-vous devenir ? » Il en rajoute une deuxième primordiale celle-là : « Que voulons-nous vouloir ? » « Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi » écrit l’auteur. Un grand explorateur du désert, Théodore Monod a dit un jour : « Nos politiques devraient davantage s’occupé du BNB (Bonheur National Brut) plutôt que du PNB (Produit National Brut). Tout dépend de ce que nous voulons devenir et de ce que nous voulons vouloir. « À force de s’habituer à l’inhabituel, nous finissons par accepter l’inacceptable. » Qu’en pensez-vous ?

Un veau moderne dans une ferme industrielle. Sitôt né, le veau est séparé de sa mère et enfermé dans une minuscule cage à peine plus grande que son corps. Le veau y passe sa vie entière : en moyenne quatre mois. Il ne quitte jamais sa cage : on ne le laisse jamais jouer avec d’autres ni même gambader, histoire que ses muscles ne se développent pas trop et donnent une viande tendre et savoureuse. La seule occasion qui lui soit offerte de marcher, d’étirer ses muscles et de se frotter à d’autres veaux, c’est sur le chemin de l’abattoir. En termes d’évolution, c’est l’une des espèces animales les plus réussies qui ait jamais existé.
Dans le même temps, il n’est guère d’animaux plus malheureux sur la planète.

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