Un voyage tout en allers retours

Lettre vagabonde – 21 mars 2007

Cher Urgel,

Le voyage en avion me propulse dans une zone irréelle, zappe le temps et l’espace comme une télécommande les chaînes de télévision. J’ai pris le petit déjeuner à Ottawa, le déjeuner à Philadelphie, le dîner à Phœnix et dormi à San Diego. Parcourir cinq mille kilomètres en trois fuseaux horaires à environ neuf mille mètres d’altitude désoriente et déstabilise. On aurait tendance à éliminer toute notion de lieu entre les destinations.

Nos voisins ne nous accueillent plus comme des visiteurs mais comme des suspects. Le passeport est obligatoire depuis quelques mois. La frontière politique s’est dotée de nouvelles barricades : la méfiance, la peur et la suspicion. Une fouille en règle, une interrogation serrée et un questionnaire détaillé à remplir avant l’entrée sur le sol américain. Il faut inscrire l’adresse complète de notre destination et donner le but précis du voyage.

À l’aéroport de Philadelphie, un panneau lumineux affiche le degré de danger au pays. Le « Department of homeland and security » indique l’alerte Orange à son plus haut degré. Ces panneaux sont aussi communs qu’ailleurs des thermomètres donnant la température. En fin d’après-midi l’avion survolait les Cordillières de l’Ouest à travers un ciel bleu impeccable. Par le hublot je perçois d’impressionnants pics rocheux encerclés de cols, de longues failles profondes où coulaient des ombres épaisses.

Je m’imaginais en randonnée pédestre gagnant les crêtes et descendant les cols. Les montagnes m’attirent et m’invitent à l’aventure. Le dernier atterrissage : San Diego. L’aéroport est situé en plein cœur de la ville. Une ville pas comme les autres avec ses rares gratte-ciel, son architecture de style espagnol et son rythme oscillant entre vitesse et lenteur.

Le lendemain de mon arrivée, la nostalgie me rattrapa. En marchant dans les rues du quartier où demeure mon frère, je me croyais de retour à Lodève, en plein midi de la France. Le paysage de montagnes d’où s’échappent des collines surplombées de riches demeures, est sillonné de rues étroites. Des palmiers et des platanes se dressent parmi les grands pins. Seuls des cactus géants qui règnent en maître ici ont dilué graduellement l’image de Lodève pour me ramener à San Diego. San Diego touche l’océan Pacifique et effleure le Mexique. Le sud montagneux, ensoleillé, vert et fleuri de la Californie attise mon émerveillement. C’est un endroit favorable au farniente. Les quartiers, les rues et de nombreux édifices portent des noms espagnols et rappellent que ce territoire appartenait jadis au Mexique.

Je séjournerai deux semaines à San Diego. C’est une rencontre de famille. Nous visitons des lieux enchanteurs. Le mont Hélix surplombe la région. Au sommet un amphithéâtre en pierre peut accueillir à la belle étoile des centaines de spectateurs. Nous visitons des lieux privilégiés et plus attachants encore; ils surgissent de notre vie familiale du fond du village de Mountain Brook.

Cinq enfances se croisent, des souvenirs se rencontrent, d’autres divergent. Incroyable comme le temps et l’expérience ont travaillé la mémoire. Ensemble on recompose la vie de notre famille. De nombreux souvenirs m’échappent. Ils les ont vécus sans moi. Ils ne m’appartiennent pas et pourtant ils font partie de mon héritage. L’enfance de l’un s’accroche à celle de l’autre pour tisser une mosaïque qui nous identifie et nous rapproche. Des liens tissés à coups de complicité, de solidarité et d’amour inconditionnel. Ici à San Diego nous faisons de nouvelles provisions de souvenirs qui nous accompagneront jusqu’à la mort.

Les voyages accrochent de nouvelles expériences aux anciennes. Ce voyage en famille écrit une nouvelle version de notre histoire commune. Une histoire sans fin inscrite au cœur du temps. Je suis fière d’être un des personnages. En nous regardant aller, je me dis que nous sommes toujours quelque part l’enfant que nous avons été. Toi, l’enfant unique, tu ne connaîtras pas semblable histoire. Je t’offre donc la mienne.

Amitiés,

Alvina

 

 

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