Un festival autour de la lettre et de l’esprit

Lettre vagabonde – 15 septembre 2004

Salut Urgel,

D’innombrables festivals jalonnent la saison estivale. Chacun possède sa touche et ses particularités. Aucun n’est aussi original que « Les Correspondances d’Eastman ». Un festival littéraire autour d’épistoliers et d’écrivains de toutes les époques, voilà un événement exceptionnel.

Eastman accueille ceux qui veulent écrire, dessiner, assister aux cafés littéraires, aux lectures-spectacles et à des films. C’est surtout autour des sites de correspondance que l’originalité et la magie s’installent. As-tu déjà eu accès à des endroits privilégiés d’écriture ? Au village, treize sites sont accessibles. Les résidants mettent à notre disposition des pièces à l’intérieur ou des endroits aménagés dans leur jardin. Une navette nous conduit d’un endroit à l’autre. Ces chambres et jardins d’écriture sont situés dans des décors féeriques et sont identifiés par des noms très évocateurs.

Je suis allée écrire à trois endroits superbes : « la chambre des nymphes », « la chambre d’ombre et d’eau », et « aux jardins de l’Utopie ». On fournissait papier, stylo et enveloppe. Postes Canada offrait les timbres. Je voulais envoyer du courrier à tant de monde que j’ai dû écrire avec frénésie et rapidité. L’accueil à la chambre des nymphes était si chaleureux que j’ai désiré y retourner. J’étais installée dans une grange bien aménagée. La pluie jouait du tambourin sur le toit. Elle accompagnait la musique de Satie qui remplissait tout l’espace. Un oiseau solitaire lançait son chant aigu en s’ébattant les plumes tout à son aise sur une poutre.

Dans la navette, j’ai rencontré Jeanne qui était venue là pour s’écrire une lettre. A-t-elle réussi à dévoiler ses secrets ? Une autre écrivait des lettres à un cher disparu. Il n’y a aucune limite au voyage d’une lettre ni à son contenu. George Sand en a bien écrit une de quarante-deux pages à sa fille Solange. Nous étions invités également à écrire à la Poste restante afin de participer au concours de lettres. Les femmes surtout occupaient les chambres et les jardins d’écriture.

Puisque le festival offrait également une quinzaine d’activités, je m’étais inscrite à six d’entre elles. Nous nous retrouvions en foule dans une ambiance amicale autour d’événements littéraires. J’ai adoré le Café littéraire animé par Danielle Laurin. Les invités étaient Aline Apostolska, Lise Bissonnette André Brochu, Roch Carrier et Louise Dupré. Le Cabaret de chansons inspiré par la correspondance d’Edith Piaf et Marcel Cerdan a permis d’apprécier les lettres et les chansons de Piaf. Le spectacle « Le rendez-vous de Nohant » présentait les lettres de George Sand à Chopin. Marie-Thérèse Fortin incarnait l’écrivaine. Christian Parent l’accompagnait au piano. Touchante et toujours d’actualité cette noble épistolière. J’ai eu de la chance de saluer mon écrivaine idole depuis l’adolescence : Marie-Claire Blais. La mise en lecture des lettres d’Alfred Desrochers m’a projetée dans les années trente et m’a révélé la vie littéraire très active de l’époque.

Un flot d’événements de grande qualité s’échelonnait sur deux jours. Entre deux rendez-vous, je sautais dans une navette pour aller écrire, tentant d’être aussi prolifique que George Sand. Même que j’ai oublié l’heure et je dus faire du pouce pour arriver à temps au spectacle au théâtre. S’arrêta en premier le directeur de la Fabrique en route vers l’église pour préparer la messe. Je l’ai pris pour le curé. Une conductrice m’a fait monter à bord de sa fourgonnette aménagée pour les personnes handicapées. Ouf ! je suis arrivée au théâtre avec deux minutes de retard seulement.

La mise en lecture de la correspondance de l’écrivain Marcel Portal à sa fille Louise Portal a été jouée par nulle autre que la destinataire. Elle m’a arraché de fortes émotions tant elle transmettait la vie qui ne cesse d’habiter une lettre. La salle était comble.

La population d’Eastman doit doubler sinon tripler durant la fin de semaine. Il y a foule partout. Le décor naturel est sublime avec le lac d’Argent en plein village, la rivière Missisquoi qui traverse le centre en portant des jardins de fleurs sur ses rives. Une grande variété de couleurs fleuries décore les rues et les propriétés. Je me dis que seuls les amoureux de la nature vivent ici.

Le jardin d’écriture le plus original reste pour moi « la Chambre dans le pré ». De petites tables sous des parasols sont éparpillées dans un champ de vaches aux abords de la route. Quand les épistolières quittèrent à l’heure du midi, les vaches vinrent les remplacer sous ces ombrelles. Une amie artiste, Irène Grant Guérette à qui je racontais l’incident en a fait une aquarelle. Elle l’a intitulée « Chacun son tour ».

Si jamais tu veux te métamorphoser en homme de lettres pour quelques jours, rends-toi au festival « Les correspondances d’Eastman » en août 2005. D’ailleurs, tu possèdes déjà tes lettres de noblesse dans l’art épistolaire.

ta scribomane,

Alvina

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