S’exprimer avec les mots de sa tribu

Lettre vagabonde – 27 avril 2005



Salut Urgel,

Pendant cinq jours, je me suis baignée dans un océan de culture autochtone. Contes, danses, poèmes, chants, récits et cérémonies ont rassemblé autour des Premières nations les participants au Festival littéraire international Northrop Frye. En compagnie de Maoris, Mi’Kmags, Malécites, Crees et Inuits, je me suis laissée imprégner de nature et de naturel. Lectures, conférences, témoignages, spectacles, cérémonies et même tête-à-tête m’ont rapprochée des autochtones de mon pays et d’ailleurs.

Le Maoris Witi Ihimaera, auteur du roman Whale Rider en a marqué plusieurs par sa sagesse, son savoir et son authenticité. Il dégageait une belle énergie. On aurait dit le porteur de paroles d’amour et du chant de la terre. Quand Shirley Bear manifeste sa spiritualité, la fusion se fait avec la nature. Donnez avant de recevoir nous conseilla-t-elle. Shirley Bear et Carlos Gomes ont suivi des rites d’initiation avant de devenir guide, sage ou guérisseur. La jeune chanteuse inuite, Elisapie Isaac est habitée d’une voix qui vient de loin. Elle émeut, elle rassemble et adoucit les petites duretés de la vie. Je pourrais te raconter chacune de mes rencontres avec ces personnes extraordinaires.

Je me suis sentie en harmonie avec les autochtones lors de ce grand rassemblement à Moncton. J’ai saisi le sens de leur quête et approuvé leurs revendications. J’ai enfin compris pourquoi les autochtones se sont si longtemps méfiés de l’écriture. Peut-on les blâmer quand les écrits sont venus à eux sous forme de Bible traduite dans leur langue afin de substituer à leurs croyances et coutumes le christianisme et ses dogmes. Les écrits sont venus également sous forme de traités qui prenaient leur terre et menaçaient leur survie. Ce n’est pas étonnant que la littérature orale ait conservé une place primordiale dans leur culture. Maintenant, des jeunes comme la poète Elisapie Isaac proclame l’importance de l’écrit pour la survie de sa langue et sa culture.

Grâce à la présence des autochtones, le Northrop Frye fut rempli de nature. Même les rites sacrés y sont intimement liés. Leur message spirituel me rapproche d’eux tant il est proche de ma vision des choses. À travers les arts et leurs coutumes, les autochtones nous disent : « notre survie dépend de nos mythes / l’identité en devenir est déjà en chacun de nous / le corps porte la mémoire collective / nous ne faisons qu’un avec la nature / c’est en reconnaissant la mort qu’on devient humain. » J’ai appris beaucoup d’eux. Quand la nature nous échappe disait Carlos Gomes, c’est la vie qui s’échappe.

Je ne me fais pas d’illusion. Ce ne sont pas tous les Crees, les Mi’Kmags, les Maoris ou les Malécites qui communient intensément avec la nature. Et des non autochtones y parviennent. Mais des rencontres avec des personnes convaincues, des rassemblements où l’on donne la place à l’intuition, à la créativité et au langage propre à chacun permettent le partage et l’éveil aux autres. Dans tous les coins du monde, des communautés se rassemblent et travaillent à des projets communs. Le Festival littéraire international Northrop Frye a réussi à rapprocher les Premières nations des Québécois, des Acadiens, des anglo-canadiens et des Français.

Et si on laissait chacun prendre la parole avec les mots de sa tribu. C’est là, dans ce langage du cœur que la parole et l’écrit deviennent authentiques et sincères. J’ai senti que l’on s’était révélés et éveillés les uns aux autres grâce à l’approche particulière aux autochtones.

J’ai trouvé chez un philosophe d’avant Jésus-Christ, Héraclite, un texte qui illustre bien l’importance de s’ouvrir aux autres. « Les hommes éveillés, quels que soient leurs dissentiments, peuvent s’entendre : ils n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde… c’est ce qui fait exister l’opposition, la politique et la haine. »

Je ne sais pas si le fait d’avoir plein la vue de cérémonies religieuses fastes et si éloignées du commun des mortels depuis des semaines, la simplicité des cérémonies autochtones m’a soulagée. Il n’y avait pas d’acteurs d’un côté et de spectateurs de l’autre. Un cercle rassembleur s’ouvrait à tous. Comme accessoires, un tambour et de l’encens. L’énergie passait bien. Jésus-Christ en personne pencherait du côté de Shirley Bear et Carlos Gomes. Ça lui ressemble plus que Benoît XVI.

Je suis revenue chez moi avec le sentiment d’appartenir à la terre et d’y occuper une belle place. Tu auras des nouvelles de mes lectures au fur et à mesure de mes découvertes des écrivains autochtones. J’ai fait bonne provision.

Amitiés,

Alvina

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