Récit de voyage

Lettre vagabonde – 13 novembre 2002

Salut Urgel,

Te voilà intéressé au récit de voyage maintenant ? Sois rassuré. Tu t’es adressé à la bonne personne. Grâce à Suzanne, j’ai fait la connaissance de nombreux écrivains voyageurs ces dernières années. Mais attention Urgel ! Je te préviens. Tu te lances sur l’imprévisible lit du vent, de métamorphoses en révélations, de vertiges en exaltations comme si l’ailleurs te prenait au tréfonds de l’âme. Attends-toi à changer d’air, à tourbillonner et à être emporté sur une vertigineuse trajectoire sans appui et sans repos.

Un bon récit de voyage me transforme en nomade. Je déploie grand mon imaginaire et entreprends de suivre l’envol de ces êtres en mouvance qui écrivent et s’inscrivent au voyage du bout du monde, au bout des mots. Séduite par la plume, captive de leurs pérégrinations, j’accompagne ces écrivains voyageurs sur les méandres des dépaysements successifs en Chine intérieure, en Afghanistan, au désert du Sahara et en France. Je fais escale sur les plus hauts sommets, dans des îles perdues ou en des villes surpeuplées et dangereuses. Mon enthousiasme pour ces grands voyageurs qui ont su marier l’art de voyager avec l’art d’écrire ne cesse de croître.

Parmi mes écrivains voyageurs préférés, je te suggère Ella Maillart, Annemarie Schwarzenbach et Colin Thubron. D’autres m’ont permis un voyage encore plus profond, en mon centre, comme Nicolas Bouvier et Gilles Lapouge. J’ai appris à voyager autrement avec les émotions de l’un, le dépaysement de l’autre, en des endroits à la fois séduisants et terrifiants. Peu importe le but du voyage, nous apportons de nous-mêmes ce que nous voulions fuir souvent. Ça se ressent dans les récits comme ça se vit dans mes voyages.

Un récit de voyage Urgel, c’est la bible du rêveur, c’est le guide parfait du projet à venir, c’est l’inspiration en provenance de la source vive d’un inspiré. C’est la possibilité de voir l’autrefois et l’autrement, de se recréer avec l’imaginaire, les apparences et le naturel. Le simple geste de se procurer un récit de voyage, c’est déjà manigancer une fugue. Je m’approprie l’audace de l’auteur, je profite de ses aventures et son expérience se greffe à la mienne. J’ai parfois l’impression de saisir le volant de la voiture d’Annemarie Schwarzenbach ou de celle de Nicolas Bouvier en plein milieu d’une route désertique aux confins de l’Asie.

Pardonne-moi de m’égarer en les méandres du voyage sans te conseiller sur quel bout de plume relever l’ancre du départ. Attrape donc Nicolas Bouvier au passage avec « L’usage du monde » qui t’alimentera d’émotions à faire chavirer ta conception même du voyage. Bouvier révèle ses mûres réflexions qui nourriront ton terreau intellectuel par la richesse de ses connaissances et de son ouverture sur le monde. On dirait que son regard prend tes yeux et que tu souhaiterais en le lisant prendre ta plume et te dire autrement. Nicolas Bouvier écrit : «Un voyage se passe de motif. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait.»

Non seulement tu voudras lire du Bouvier, tu rêveras de voyager avec lui.

Laisse-moi te présenter d’autres écrivains voyageurs comme l’intrépide Ella Maillart et l’exubérante Annemarie Schwarzenbach. Elles entreprirent la traversée de l’Iran et de l’Afghanistan dans une Ford en 1939. Ella Maillart relate son aventure dans « La Voie cruelle » tandis qu’Annemarie Schwarzenbach intitule son récit « Où est la terre des promesses ? » Un même voyage mais deux visions aux antipodes. Voilà le miracle de l’écriture. D’Annemarie Schwarzenbach, j’ai relevé :

« Partir, c’est la délivrance – ô unique liberté qui nous soit restée -, et il n’est besoin pour cela que courage sans failles, chaque jour renouvelé… »

De Gilles Lapouge, je te conseille « Besoin de mirages » et « Le bruit de la neige ». Il nous confirme que lire et voyager ne sont qu’une seule et même façon de savourer la vie. Lapouge voyage de façon intuitive :

« J’ai un autre atout dans mon barda de voyageur : une habileté à me perdre qui confine au génie. Je trace mes chemins à l’intuition. Tranquille au volant de ma voiture, je comprends soudain, à des signes reçus de moi seul, que je dois prendre à gauche. Il n’y a pas à discuter, c’est un ordre ! »

Tu trouveras plus d’une centaine de récits de voyage dans « Petite Bibliothèque Payot ». Entre temps, poursuis tes propres errances. Je te laisse sur ces beaux vers de José Acquelin, le mystique voyageur :

« entre ce qu’on nous dit qu’il faut voir absolument
et ce qu’on est surpris de voir simplement
voilà le voyage de l’obéissance à la découverte
une minute peut suffire une vie peut ne pas. »

Bonne lecture de récits de voyage. À quand le tien ?

Amitiés

Alvina

1 commentaire

  1. Suite à la lecture de cette chronique Alvina je vois que tu en connais un tas sur les grands voyageurs. Je retiens émotions, dépaysement et rêve. Grande voyageuse toi-même, tu t’es compromise en faisant Compostelle à deux reprises, traversé Canada et États-Unis, séjourné de façon prolongée en France à quelques reprises, bouquiné dans des dizaines de librairies, marché dans plusieurs sentiers dont ceux de Gabrielle Roy, grimpé nombre de sommets sous la pluie et le beau temps et entretenu des liens épistoliers avec de nombreuses gens. Aujourd’hui encore tu n’hésites pas à joindre un écrivain ou une écrivaine qui a sut te toucher de ses mots, de ses idées. Plusieurs ont séjourné en ta demeure et tes carnets regorgent d’activités que tu as vécues en pleine nature, dans une ville ou dans le pré, toujours accompagnée de vers ou de proses qui enrichissent tes randonnées. Heureux sont ceux qui te côtoient pour bénéficier de tant d’émois et nourrir leurs propres rêves. Voyager léger t’est familier n’hésitant pas à transformer ta voiture en véhicule de séjour et te rapprocher de la nature pour en apprécier les éléments.

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