Là où les jours sont comptés ou la perte d’une aide-bibliothécaire

Lettre vagabonde – 14 septembre 2005

Chers responsables rationnels des ressources humaines,

Du haut de votre poste décisionnel, veuillez vous pencher sur une espèce menacée : le lecteur. Depuis que l’expression « ressources humaines » a été instaurée et implantée dans notre vocabulaire et notre société, l’identité et la valeur d’un individu ont subi un désastreux dérapage. Depuis que « ressource » est devenu le nom et « humain » l’adjectif, l’humain ne fait plus le poids. La tendance actuelle se passe facilement de l’adjectif.

Anne est une aide-bibliothécaire hors pair, voire exceptionnelle. La passion des livres et l’amour des jeunes sont les meilleurs atouts pour administrer et animer une bibliothèque scolaire et nourrir l’esprit des élèves. Au cours des années, elle a donné un corps de vitalité et de richesse à la bibliothèque de l’école Versant-Nord. Les rayons se dotaient de collections pour répondre aux besoins et à tous les goûts des jeunes de cinq à quinze ans.

En accumulant expérience et expertise, Anne est devenue une virtuose de la littérature jeunesse, de la psychologie de l’enfant et de la bonne marche de la bibliothèque. Avec l’arrivée de Anne, la bibliothèque s’est dotée d’une âme. Les livres et les lecteurs prennent racine et ne cessent d’y croître. Cette aide-bibliothécaire fait des acquisitions, lit beaucoup et distribue ses bons conseils dans les choix de lecture. Les élèves se laissent tenter.

Anne fait partie d’un syndicat incluant les aides dans divers domaines de l’éducation. Chaque année les responsables des ressources humaines convoquent les employés de ce secteur pour la grande vente à l’encan des postes. Les mieux nantis ont les premiers choix. Quand je pense qu’un syndicat favorise ainsi la supplantation à grande échelle parmi ses employés. Chaque poste est mis en vente. On l’achète avec des années, des mois, voire des jours de travail. J’ai bien dit travail et non expérience, voilà le problème. Anne a été supplantée par une employée sans expérience en bibliothèque scolaire.

Voilà, Anne se retrouve sans son emploi. La bibliothèque de l’école Versant-Nord sans âme. On vient de priver des centaines d’enfants d’une passionnée de livres. Qui va développer l’appétit de lire, qui va offrir une orgie de lecture aux jeunes ?

Quand les humains ne sont que des ressources déplacées et remplacées telles des ressources matérielles, le couloir de la qualité en éducation se rétrécit et la porte se ferme sur la grande avenue de la compétence et de la passion pour son travail. Qu’est-ce qui se passerait si les écrans d’ordinateurs étaient remplacés par des tableaux noirs ou placés dans une pièce sans courant électrique ?

La bibliothèque scolaire va finir par ressembler à la chaîne MacDonald : beaucoup de nourriture, pas de cuisinier et plein de calories vides. Les Marianne, les Anne, les Magella et les Caroline sont responsables de l’alimentation littéraire des jeunes. Sauvegardons nos chefs bibliothécaires si on ne veut pas se retrouver devant des menus ni appétissants ni nourrissants.

L’apprentissage des élèves traverse souvent des étapes de grande noirceur parce que des lois et des règlements sont appliqués avec une trop forte dose de rationnel. Des décisions sont prises avec des chiffres pour favoriser l’institution sans considérer les conséquences néfastes infligées au principal intéressé : l’enfant.

Donc chers responsables rationnels des ressources humaines, veuillez lever l’anathème imposé par la seule rationalisation. Une petite dose de sens commun et d’éthique ajouterait de l’humain à vos ressources.

pour la survie des lecteurs,

Alvina

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