La correspondance

Lettre vagabonde – 23 octobre 2002

 

Bonjour Urgel,

Tu me demandes d’où vient mon engouement pour la correspondance. L’enthousiasme est issu d’une nécessité, dès l’âge de sept ans. Depuis, ma passion pour la lettre est née. Les premières lettres s’adressaient à mon père, lui qui ne savait ni lire ni écrire. C’eut été ma chance de tout dire, mais à l’époque il y avait la censure… La correspondance possède une force magique Urgel, elle permet de rêver et de parler aux autres comme s’ils étaient là. Elle permet de se rappeler. Elle suscite la réflexion, facilite la cadence entre la lenteur et le silence. Le corps prend possession de l’instant, le cœur entre en confiance. L’âme frétille et le cerveau pense. C’est l’encre et l’ancre marqueurs de temps d’arrêt et d’arrêt du temps. Une présence nous touche subrepticement en une si intime proximité. Ça ressemble à un tête à tête. On y passe d’heureux moments.

Nombreux sont ceux qui craignent la correspondance, qui s’en éloignent comme le diable de l’eau bénite. As-tu remarqué, l’ami qui te parle durant des heures, te quittera en affirmant : « Je ne t’écrirai pas car je ne sais pas quoi dire. » Preuve que ça parle une lettre, que les gens utilisent la parole parfois, pour en cacher une autre. Simone de Beauvoir disait : « La parole est une manière plus facile que le silence de se taire. »

J’ai lu et apprécié des épistolières célèbres. Pense à Mme de Sévigné qui devint célèbre par sa correspondance avec sa fille surtout, la comtesse de Grignan. Ses mille cinq cents lettres constituent une véritable chronique du règne du Louis XIV. J’admire encore plus l’épistolière George Sand qui, une nuit, écrivit une lettre de quarante-deux pages à sa fille Solange. On a proclamé que la plus belle correspondance à lire était celle de George Sand et de Gustave Flaubert. On l’a nommée « le chef d’œuvre de la sensibilité ».

Et quelle amitié ! Mais ça, c’est une autre histoire. J’ai lu et relu la correspondance de George Sand. On dit que sa seule drogue fut l’encre et l’encrier. J’ai envié sa fille Solange pour la lettre de quarante-deux pages que lui écrivit sa mère jusqu’au jour où j’en reçue une de vingt-deux pages de la sculpteure, Adrienne Luce. Je fus comblée par la qualité et la générosité de la lettre.

En art épistolaire, revenons plus près, en Acadie. La première épistolière connue et publiée se nomme Marichette. Elle envoyait ses lettres à l’Evangéline de Weymouth en Nouvelle-Écosse. Dès 1895, elle y revendique les droits des Acadiennes. Voici ce qu’elle écrivait la Marichette : « y aurait ti pas moyen de faire passer un bill pour défendre d’enseigner l’anglais à nos enfants avant d’apprendre notre langue et prier en français ? » Cette citation provient du volume de Pierre et Pierre M. Gérin intitulé « Marichette, lettres acadiennes 1895-1898. Elle n’avait pas la langue dans sa poche la Marichette, laisse-moi te dire.

Il y a la correspondance de Gabrielle Roy que tu apprécieras sûrement avec « Mon cher grand fou » publiée chez Boréal en 2001. Toi qui as un culte pour Gabrielle Roy, c’est à lire. Et la toute dernière, celle de Robertson Davies, « Entre vous et moi » est remplie d’humour et de confidences.

Heureusement que tu n’es pas susceptible Urgel. Rassure-toi, notre échange épistolaire conserve sa place de choix. J’adore tes traces d’encre sillonnant le beau papier avec ta personnalité dedans. Tu accroches parfois tes lettres comme tes bottes dans les sentiers boueux, comme tes bâtons dans les racines soulevées. Mais c’est ta trace à toi, fidèle et authentique telles les lignes de la main. En reconnaissance, toi mon fidèle épistolier, je te prêterai « Les plus belles lettres manuscrites de la langue française » de la Bibliothèque Nationale de Paris. Ça se trouve dans la collection « Mémoire de l’encre ». Un chef d’œuvre de quatre-vingt-huit lettres manuscrites. Il y en a même une de Vincent Van Gogh. On y trouve un fac-similé d’une missive d’Alain Fournier, l’auteur de « Le grand Meaulnes ».

Ça rapproche la plume ou le stylo, le papier sous l’enveloppe qui prend envolée de pigeon vers son destinataire. La calligraphie est cette coulée d’encre aussi unique que l’empreinte digitale, aussi expressive qu’une voix et aussi révélatrice qu’un regard. La calligraphie : l’art d’écrire irremplaçable. Ça ne va pas vite mais ça va à la bonne place : droit au cœur car on y a mis le sien et tout son temps dedans.

Bon je te quitte pour écrire à ma nièce Sylvie. C’est bientôt son anniversaire.

Amitiés,

Alvina

1 commentaire

  1. Tu en connais un un lot Alvina sur la correspondance! Voici ce que j’en écrivis à ma conjointe en décembre 2020 en période de confinement: C’est l’effet de surprise qu’il produit de nos jours, un effet d’attention particulière pour la personne à qui c’est dédié. Apporter de la joie, n’est-ce pas ce que c’est que de sortir du virtuel et de se faire porter un message oblitéré et subrepticement livré? Je me rappelle pensionnaire au collège la joie que m’apportait une lettre de mon père ou d’un ami mais c’est surtout celle de mon amoureuse d’alors qui nous a permis de rester ensemble. L’histoire se répéta comme tu sais trente-sept ans plus tard depuis Terre-Neuve vers Kuujjuaq.

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