Collision entre savoir et ignorance

 

Lettre vagabonde – 28 novembre 2007

Cher Urgel,

Daniel Pennac vient de publier un livre clé, un livre choc : Chagrin d’école. L’auteur cerne la vie scolaire, familiale et sociale d’un élève en situation d’échec scolaire. J’ai lu des essais à la tonne sur le sujet. Certains m’ont éclairée, mais peu ont aidé l’élève en difficulté. Daniel Pennac a mis le doigt sur le bobo comme on dit. Il sait de quoi il parle car lui-même était un cancre à l’école.

Chagrin d’école cherche avant tout à faire comprendre l’ignorance. L’auteur donne le point de vue des jeunes, des parents et des professeurs sur l’ignorance et le savoir. Daniel Pennac est passé de l’état d’élève ignorant au statut de professeur. Il a réussi à sauver bon nombre de victimes souffrant du même mal que lui.

Daniel Pennac avait révolutionné l’univers de la lecture en préconisant la connivence entre le lecteur et le livre. Il nous a transmis son bonheur de lire dans Comme un roman. Avec Chagrin d’école, il veut redonner à l’élève la capacité d’apprendre et le goût d’apprendre. Aux professeurs, ils confient les moyens utilisés par ses meilleurs enseignants pour rejoindre l’élève en difficulté.

Daniel Pennac ne suggère aucune méthode pédagogique en particulier. Il s’en méfie et l’exprime ainsi : « Ce n’est pas ce qui manque, les méthodes, il n’y a même que ça, des méthodes ! Vous passez votre temps à vous réfugier dans les méthodes, alors qu’au fond de vous, vous savez très bien que la méthode ne suffit pas. Il lui manque quelque chose. »

Ne va pas croire que Pennac condamne l’école. Il la défend plutôt « Tout le mal qu’on dit de l’école nous cache le nombre d’enfants qu’elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l’ignorance, de la bêtise, de la cupidité, de l’immobilité ou du fatalisme des familles. » L’élève en situation d’échec se retire, se ferme. On pourrait le croire paresseux, croire qu’il le fait exprès. Peu importe l’âge, nous nous fermons à ce qui ne nous atteint pas et à ce que nous ne réussissons pas à atteindre. Lorsque l’on perd l’intérêt, on s’avoue incapable, vaincu et on cesse de faire l’effort. Un élève incapable d’apprendre à l’école est aussi mal en point qu’un poisson qui ne sait pas nager.

Daniel Pennac préconise de jeter le poisson à l’eau si l’on veut qu’il apprenne à nager. En d’autres mots, il est convaincu qu’il faut parler aux élèves le langage de la matière enseignée. « Peur de la grammaire ? Faisons de la grammaire ! Pas d’appétit pour la littérature ? Lisons ! » Les élèves sont pétris des matières enseignées, pétris de mots surtout.

Daniel Pennac valorise la dictée, le par cœur que des méthodes et des textes ennuyeux ont fait détester dans le passé. La mémoire est une bibliothèque à enrichir et non un muscle à entraîner nous prévient l’auteur. Les textes appris par cœur ajoutent aux souvenirs; ils sont le cœur de la langue. Le dictionnaire est un outil indispensable. Les élèves peuvent apprendre à le manier avec une facilité déconcertante.

L’écrivain dénonce les vedettes et les animateurs qui clament en entrevue qu’ils n’ont jamais rien appris à l’école, ces menteurs. Il dénonce la publicité, le marketing qui a pris d’assaut les élèves. Il accuse cette société qui fait des jeunes des « esclaves incultes et des clients aveugles. » L’auteur condamne notre époque qui n’a qu’un dieu : la jeunesse. « Il faut être jeune, penser jeune, vieillir jeune, consommer jeune. » L’auteur de Chagrin d’école définit cinq catégories d’enfants sur la planète : « l’enfant client chez nous, l’enfant producteur sous d’autres cieux, ailleurs l’enfant soldat, l’enfant prostitué et l’enfant mourant. » Tous sont des enfants instrumentalisés conclut Daniel Pennac.

Daniel Pennac rend hommage aux trois professeurs qui lui ont sauvé la vie. Ce ne sont pas des professeurs férus de la dernière mode en méthodologie ni d’un matériel haute gamme. Il les décrit ainsi : « Armés de cette passion ils sont venus me chercher au fond de mon découragement et ne m’ont pas lâché qu’une fois mes deux pieds solidement posés dans leur cours, qui se révéla être l’antichambre de ma vie. » Ces trois professeurs n’ont jamais lâché prise ; ils étaient des artistes, des créateurs et des communicateurs. Pour exercer le métier de professeur écrit Pennac, ça prend –… –…–… L’amour.

Moi aussi Urgel, j’ai eu des enseignants qui m’ont sauvé la vie, deux en particulier. Mon enseignante de sixième année, Germaine Pezet. Elle m’a donné la piqûre du dictionnaire et elle m’aimait. Elle m’a réchappée en quelque sorte d’un malheureux destin qui n’avait rien à voir avec les matières scolaires. En neuvième année, Jeannine Diotte ne nous lâchait pas d’un pouce. Elle lisait, nous laissait lire. Elle travaillait d’arrache-pied et exigeait autant de nous. J’ai lu les huit cents pages de David Copperfield en anglais dans un temps record, à l’heure du midi ou à des moments plus inopportuns en classe avec son approbation discrète.

Si on écrivait chacun les noms des enseignants qui nous ont sauvé la vie, tous auraient en commun d’avoir cru en nous et de nous avoir aimés.

Ah ! Si le Père Noël était assez généreux pour insérer Chagrin d’école dans chaque bas de Noël des professeurs ! Avec Chagrin d’école, il aurait la chance de rendre des milliers d’enfants heureux. Si tu le vois dans ton Grand Nord, fais-lui donc le message. Je te laisse avec une citation de Daniel Pennac : « Au lieu de recueillir et de publier les perles des cancres, qui réjouissent tant de salles de professeurs, on devrait écrire une anthologie des bons maîtres. »

Amitiés,

Alvina

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